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Hivers secs : l'expérience des saisons 1964 et 1990

Dernière mise à jour : 3 oct. 2023


Si les hivers 1963/64 et 89-90 restent dans les annales en matière de déficit d’or blanc, ils n’ont pas réduit à néant l’activité ski alpin. Mieux, ils ont soudé la filière dans l’adversité, l’obligeant à mutualiser ses efforts et forger sa capacité d’adaptation. Au-delà du slogan, « la montagne ça vous gagne ».

Cet hiver-là, Guy Lux et Simone Garnier n’ont pas eu à se chausser d’après-ski en poils de chèvre pour lancer, sous le mont Blanc aux versants dégarnis, Interneige entre Chamonix et Megève. Les températures sont glaciales. Le ciel, désespérément bleu. Le sol étonnamment sec. Idéal pour l’alpinisme qui connaît une moisson d’hivernales signées des cordées Desmaison-Mazeaud à l’aiguille du Midi ou Chèze-Parat dans les Écrins.


L’hiver 1963/64 est un premier test climatique

La saison 1963/64 : premier véritable test climatique pour une industrie du ski en voie de constitution. À moyenne altitude la plupart des remonte-pentes sont à l’arrêt. Alors on va chercher les rares flocons là où ils se cachent : plus haut. Ou comble du paradoxe… dans les plaines. Il est tombé 50 cm à Dijon, mais peau de balle dans la chaîne des Aravis. Les précipitations viennent inexorablement mourir au pied du relief. À croire que les cieux sont tombés sur la tête.


Les Jeux Oympiques d’Innsbruck (Autriche) peuvent se dérouler grâce à l’armée qui convoie la neige par camions depuis le col du Brenner. Qui parle de bilan carbone ? On a même raclé la glace des patinoires pour fignoler les pistes. Plus écolo, Villard-de-Lans, parvient à faire un peu de ski le 21 janvier grâce à l’effort des locaux qui ont rassemblé la rare matière première par traîneaux à la Cote 2000. À l’Alpe d’Huez, le transport de neige par chenillettes sauve la face. Les routes des cols (Iseran ou Croix de Fer) sont grandes ouvertes. Au Galibier, un fil neige a été installé.


Tous les versants ne sont pas « égaux » face aux caprices du climat. En Savoie, le site des Saisies « grenier à neige » avec son haut plateau s’en sort bien. Mais Courchevel crie famine, installant des navettes pour acheminer sa clientèle frustrée vers la Plagne qui réalise un insolent début de saison avec l’afflux en provenance des sites moins fournis. Les touristes arrivent même en avion dans ce nouvel eldorado de Tarentaise. Dans les Alpes du sud, Montgenèvre et Serre Chevalier, alimentées par des retours d’Est salvateurs, n’ont jamais vu autant d’hivernants.


Malgré ces exceptions, les stations françaises toussent. Réunies à Grenoble en février, elles en appellent à l’aide de l’État. Les magasins de sport ont vu leur activité chuter de 80 %. De ce premier signe d’alerte, la destination ne tire pas encore de leçons. Megève a bien testé ce drôle d’arrosoir qui crache de la neige carbonique. « Un moyen de lutter contre les défaillances de la nature. » On croit davantage à ce grand plan soutenant la construction de stations à très haute altitude. Nos champions font briller le ski et, au fond, le cru 64 apparaît comme une anomalie climatique.


En 1990, on pique-niquait sur les pistes à Chamrousse. Photo Archives Le DLEn 1990, on pique-niquait sur les pistes à Chamrousse. Photo Archives Le DL

Les hivers 1988/89 et 1989/90 sont « néfastes »

Plus rude sera le tournant des années 90. La saison 87/88 ne verra la neige arriver que le 20 janvier et si les vacances de février ont pu être sauvées ce ne sera pas le cas les deux hivers suivants, « néfastes ». En 1989-90, la station Météo France du Col de Porte en Chartreuse affiche un ridicule 7,65 cm d’épaisseur moyenne et une température supérieure de 3° aux normales. Du jamais vu.


Le choc est d’autant plus violent, selon Jean-Charles Simiand, alors délégué général du Syndicat national des Téléphériques de France (SNTF), que les sports d’hivers ont vécu leurs trente glorieuses. Le ski a converti jusqu’à 10 % de Français et les ventes de forfaits ont connu trois décennies de croissance continue. « On est passé de l’artisanat à l’industrie. »


Début février 89, Arêches, dans le Beaufortain, fait constater par huissier ses hauteurs de neige pour ne pas faire fuir la clientèle.


Pour la nouvelle année 90, les familles pique-niquent dans l’herbe de Chamrousse et à Auris en Oisans, à Noël, les moniteurs étaient réduits à jouer aux cartes. À fendre le cœur des montagnards. Gilles Chabert, pas encore chef de file des pulls rouges, se souvient avoir migré à l’École de ski de Courchevel. « À Villard, nous étions allés voir le banquier pour pouvoir manger. Il avait pris peur. En plein février on avait installé un practice de golf au pied des remontées. »


Le ministre du Tourisme Olivier Stirn ira de ses plans d’aide : prêts bonifiés, chômage partiel dans les remontées mécaniques, report des échéances fiscales. Là encore les hautes stations saturent quand les petites comptent les pissenlits.


Jean-Charles Simiand retient des conséquences bénéfiques pour passer ce cap. La branche des remontées mécaniques fait évoluer sa convention collective. Elle sera la première à rendre systématique la réembauche du personnel d’une saison sur l’autre. Ce qui permettra, 30 ans plus tard, à 95% des saisonniers touchés par la crise sanitaire d’être placés en activité partielle.


Cette crise-là, climatique, a eu pour effet de souder les acteurs, à commencer par les exploitants de domaines skiables qui lanceront leur fonds Nivalliance par lequel les grands aident les plus petits. Avec les équipementiers, les maires, les moniteurs, les Professionnels associés de la montagne (PAM) lancent une campagne télé pour rebondir : « La montagne ça vous gagne. » On n’a jamais trouvé meilleur slogan pour dissuader le fidèle de prendre son maillot et d’aller plutôt voir en Tunisie. Mais Poma, le fabricant d’appareils mettra cinq ans à s’en remettre. Les stations n’avaient plus de sous pour investir sur leurs pistes. Il a le sens de la formule, Jean-Charles Simiand. On lui doit celle qui tourne en boucle 30 ans plus tard : « Le tout ski c’est (presque) fini mais sans le ski tout est fini. »


Les années 90 verront surtout un démarrage (timide) de la diversification des activités. Et le premier recours massif aux dispositifs de neige de culture à la technologie encore lourde. Pour les professionnels de l’or blanc, de cette époque subsiste une idée, un sentiment, une conviction qui perdurent : ce qui ne tue pas rend plus fort.

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