Montagne. Ski "vintage" en Val d'Aoste : le charme d'un voyage dans le temps
Trois télésièges biplaces et un petit domaine skiable : Chamois propose un ski "vintage" où l'on prend le temps de vivre
Le Val d'Aoste en Italie, frontalier avec les vallées de Savoie, offre des visages très contrastés. À côté des grandes stations internationales, on trouve encore des espaces complètement vierges et des petits villages munis de quelques remontées, où rien ne semble avoir changé depuis le milieu du siècle dernier.
Traverser le tunnel du Mont-Blanc, c'est un peu changer de monde. Certes, de part et d'autre, les Alpes sont toujours là, mais on sent immédiatement un je-ne-sais-quoi qui fait la différence. Peut-être l'accent valdôtain, qui chante dans ces villages de tradition francophone, les cafés ristretto, la Fontine ou le jambon d'Aoste. À moins qu'il ne s'agisse de la végétation, qui sent les Alpes du sud, alors qu'on est à deux pas de Chamonix ou de Bourg-Saint-Maurice. La Vallée d'Aoste est une région autonome et francophone des Alpes Italiennes. Sa capitale, Aoste, est bâtie au carrefour des routes menant à deux cols historiques importants : le Grand Saint-Bernard vers la Suisse, et le Petit Saint-Bernard vers la Tarentaise en Savoie. Une ville industrielle, mais aussi touristique au patrimoine antique impressionnant qui nous rappelle que l'histoire est omniprésente, comme en témoignent les nombreux châteaux et les forts tout au long de la vallée. Plusieurs grandes stations de ski font la fierté du Val d'Aoste, comme Courmayeur, Pyla et Breuil-Cervinia, au pied du majestueux Cervin.
Chamois, un village accessible uniquement par câble
Mais lorsqu'on cherche à s'extraire des chemins les plus fréquentés, le Val d'Aoste nous ouvre d'autres portes. Des villages hors du temps où la dolce vita à l'italienne se mélange avec le rythme tranquille des villages alpins. C'est le cas du petit village de Chamois, dans la vallée de Valtournenche. Un village qui, dès les années 50, refusait de construire une route d'accès à travers la montagne escarpée, lui préférant un mode de transport novateur pour l'époque et particulièrement en vogue aujourd'hui : le téléphérique.
Et oui, Chamois n'est accessible qu'avec le câble !
Attilio Ducly est une figure de la vallée. Paysan, puis moniteur de ski, et ancien maire du village, il en a connu, des hivers, du haut de ses 91 ans. Il se souvient de ce jour des années 50 où le village a choisi le téléphérique plutôt que la route. C'est avec sa combinaison de "Maestro di Sci" qu'il m'attend à la sortie du téléphérique, sur la place de l'église de Chamois. Lorsqu'il s'agit de parler de l'histoire de Chamois, le vieil homme est intarissable. Il fait partie de ceux qui ont œuvré pour construire le téléphérique.
"On a attendu la sortie de la messe du dimanche pour être sûrs de réunir tout le monde. Et on a posé la question de l'accès au village, qui se faisait jusqu'ici par un chemin muletier. À l’époque, c'était la mode de la voiture. Même si certains avaient préféré construire une route, notre choix s'est porté sur un accès par téléphérique, directement depuis la vallée. C'était plus rapide, et puis déjà, à l'époque, on n’avait pas trop envie d'amener ici les bruits et les habitudes de la ville".
Les habitants du village ont donc choisi le transport par câble plutôt que la route, sans s'imaginer que quelques décennies plus tard, cela deviendrait un atout rarissime. Un village sans voiture, à la capacité d'accueil limitée par le débit du téléphérique : c'est l'assurance d'un séjour au calme et hors de l'agitation des grandes stations pour les touristes en mal d'authenticité.
"Alors bien sûr, poursuit Attilio, ça pose quelques problèmes d'organisation. Tout monte et descend par le téléphérique : nourriture, matériaux, habitants et touristes".
La nuit, en cas d'urgence, il y a toujours quelqu'un prêt à mettre le téléphérique en route. Au pire, il y a aussi l'hélicoptère. Attilio Ducly, ancien Maire de Chamois et ancien "Maestro di Sci"
Mais les gens d'ici sont issus de familles habituées à se débrouiller et à composer avec la montagne et son isolement, notamment en hiver. Ce choix a fait de Chamois un village hors du temps, où l'on n'entend que le bruissement du vent dans les arbres et les oiseaux au printemps. Épicerie, magasin de sport, restauration, et même médecin quelques jours par semaine : il y a tout ce dont on peut avoir besoin pour vivre paisiblement.
Chamois et le charme de ses télésièges d'un autre temps
Sans oublier le ski. Car Chamois, comme tant d'autres villages de montagne, s'est tourné également vers les sports d'hiver. Trois remontées mécaniques qui grimpent jusqu'au sommet... en 40 minutes ! Des télésièges d'un autre temps, celui où l'on skiait sans se presser, où la remontée était l'occasion de contempler le paysage, et de reposer les cuisses. Bien loin des débits impressionnants de stations modernes : les télésièges fixes à deux places de Chamois nous replongent immédiatement dans le ski "vintage" des années 70. De toute façon, le nombre de skieurs est limité par le débit du téléphérique qui permet l'accès au village. Mettre ici des télésièges débrayables n'aurait aucun sens, et ça ne collerait pas avec l'esprit familial et tranquille de cette petite station, qui attire des contemplatifs heureux de profiter des 14 kilomètres carrés de cette commune très entendue, et dans laquelle le petit domaine skiable passerait presque inaperçu.
Valpelline, une vallée au caractère particulièrement sauvage
D'autres ont fait des choix différents. C'est le cas des habitants de la vallée de Valpelline, l'une des plus longues vallées internes du Val d'Aoste, au caractère particulièrement sauvage. Longtemps, les habitants de cette vallée ont vécu comme partout grâce au pastoralisme, puis grâce à la longue construction d'un des plus grands barrages d'Italie au fond de la vallée.
Lorsque ces travaux ont été terminés, la question de l'avenir des habitants s'est posée avec plus d'insistance. Réunis en association, de nombreux villageois ont fait le choix de stopper tout projet de tourisme de masse ou en désaccord avec le caractère sauvage et préservé de leur vallée. Ainsi, la Valpelline est restée telle quelle, avec des villages accrochés aux pentes raides, des sommets vierges et impressionnants, dans un décor qui rappelle les vallées les plus spectaculaires du massif de l'Oisans côté français.
Daniele Piellier est un enfant du pays, et fait partie de ceux qui se sont battus pour refuser tout projet touristique invasif. "Ça n'a pas été facile, nous avons reçu des pressions et on nous a proposé parfois de fortes sommes d'argent pour laisser exploiter la vallée notamment avec l'héliski. Mais nous avons tenu bon, et aujourd’hui, notre vallée fait figure de sanctuaire sauvage dans la région, nous en sommes fiers. Elle offre de nombreuses possibilités d'activités de pleine nature, suffisamment pour faire vivre les locaux. De mon point de vue, c'est nécessaire et suffisant".
Certes, la Valpelline, abrupte, austère, impressionnante, n'était pas particulièrement adaptée à la construction de grandes stations de ski connectées à des champs de neige accessibles. Ici, tout se vit à hauteur d'homme, se mérite à la force des cuisses, mais c'est ce qui fait son caractère. Daniele tient un gîte de montagne au bout d'une route improbable où l'on ne se croise pas. Ses quatre enfants ont été mis sur des skis de randonnée dès leur plus jeune âge. Le plus grand nous a largement dépassés lors de notre balade au-dessus de chez lui.
"Tu vois Laurent, ils s'amusent plus ici qu'avec les jouets qu'on pourrait leur donner", me dit-il avec fierté. "Ils connaissent le milieu dans lequel ils vivent, savent s'émerveiller des paysages, de la vue d'un chamois, et l'été, s'occupent bien mieux avec trois bouts de bois et un torrent que devant une console de jeux. Ce que je veux leur apprendre, c'est que nous faisons partie de cette nature, qu'on en a un besoin vital, et qu'ici, on peut facilement s'y connecter".
Au sommet du dôme, Daniele s'empare de la fameuse "grolle" où il verse le mélange détonnant de café et de grappa. Son fils Luis sort de son sac un accordéon et joue quelques notes qui s'envolent vers les sommets. Plus haut, la neige tourbillonne dans le vent qui se lève. On est seuls au monde. Et si c'était ça, le bonheur ?
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