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Rénovation énergétique en montagne : toujours plus de doutes et d'obstacles


La rénovation énergétique en montagne, un chantier nécessaire mais plein d'incertitudes


Comme le reste du territoire, les stations de ski se retrouvent menacées par l’interdiction progressive des logements énergivores. Dans dix ans, 75 % des logements pourraient être interdits à la location s’ils ne sont pas rénovés. Si de nombreuses embûches laissent penser que le calendrier sera difficile à respecter, ce grand ravalement de façade peut aussi être vu comme une vraie opportunité.


En 2034, les trois quarts des logements en station de ski pourraient-ils être interdits à la location ? C’est ce qui risque de se produire si le parc immobilier de montagne n’est pas rénové d’ici-là, et si la loi Climat et Résilience de 2021 se retrouve appliquée sans aménagements spécifiques à ces territoires. Car le texte prévoit, au nom du principe de « décence énergétique », des interdictions progressives de location pour les biens les plus gourmands. Depuis le 1er janvier 2023, les logements ayant une consommation énergétique annuelle supérieure à 450 kilowattheures par mètre carré sont déjà interdits à la location. Ils ne représentent qu’une partie des biens au diagnostic de performance énergétique (DPE) G, le niveau le plus bas de l’échelle. Le reste de cette classe les rejoindra en 2025, ceux notés F en 2028, et les E en 2034.


Selon la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), 22 % des logements sont classés F ou G sur l’ensemble du territoire, c’est-à-dire qu’ils sont considérés comme des passoires thermiques. Mais en station de ski, ce chiffre grimpe à 38 %. Il s’envole même à 76 % si on compte tous les biens concernés par une interdiction potentielle à la location d’ici 2034. Un bilan qui s’explique en partie par le vieillissement du parc immobilier : 71 % des logements en station ont été bâtis avant 1990. « Ces territoires sont largement le fruit d’une politique d’urbanisme volontariste des années 60, le Plan Neige, qui a vu se construire des immeubles et donc des copropriétés », rappelle la FNAIM dans un document publié en janvier 2023.


Certains de ces bâtiments ont connu peu de rénovations depuis, poursuit la FNAIM, en précisant que certains d’entre eux sont toujours chauffés au fioul. Cette tendance se justifie par la part très importante de résidences secondaires en station, qui atteint 59 % sur l’ensemble des massifs français, contre 10 % dans le reste du territoire. Or, dans l’ordre des priorités, l'isolation de sa résidence secondaire passe après celle de sa résidence principale. Ce qui signifie que la rénovation de ces logements n’est « jamais apparue comme une priorité de politique publique », commente la FNAIM. En dépit du fait qu’ils constituent la base du parc locatif essentiel à l’économie des stations. « Ces bâtiments ont été construits à une époque où l’énergie ne coûtait pas cher, donc l’isolation n’a pas été faite », analyse Éric Adamkiewicz, maître de conférences en management du sport et en développement territorial à l’Université de Toulouse.


Bérengère Servat, présidente-adjointe de la Chambre FNAIM Savoie-Mont-Blanc, renchérit : « Ce n’est pas tant que les logements n’ont pas été entretenus, car la plupart d’entre eux l’ont bien été. Mais ils ont les défauts de leur époque », soupire-t-elle. Pour ne rien arranger, notons que l’altitude a un impact négatif sur le DPE. Les petits appartements, qui sont légion dans les immeubles de stations, sont également désavantagés. En effet, comme la déperdition de chaleur se fait par l’extérieur, la surface d’échange est proportionnellement plus importante que pour les logements spacieux.


« Qu’il faille rénover, c’est une réalité »

Cette rénovation, les différents acteurs ne nient pas sa nécessité. D’une part, il est bon de rappeler que le bâtiment est le second secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre derrière les transports, et que près des deux tiers de ces émissions sont dues aux particuliers. Mais en station de ski plus qu’ailleurs, cette remise à niveau permettrait surtout d’optimiser les logements existants sans avoir besoin d’en construire de nouveaux. D’autant que les températures froides impliquent logiquement une facture de chauffage plus salée qu’en plaine. « Si on ne rénove pas, on va avoir un effet ciseau entre l'augmentation des prix de l’énergie et la mauvaise isolation, expose Éric Adamkiewicz. Et là, pour les propriétaires, ça va saigner. » Cette stratégie permettrait en outre de ne pas augmenter le nombre de lits froids, ceux qui sont occupés moins de quatre semaines par an et que France Bleu estimait en octobre 2023 à 50 % du parc de montagne.


Dernière évidence, se concentrer sur l’optimisation des bâtiments existants plutôt que sur la création de nouveaux permettrait de réduire l’artificialisation des sols. Et ce phénomène n’est pas qu’une question d’urbanisation de la montagne, qui pourrait porter préjudice à une esthétique bien subjective. Non, un sol imperméabilisé favorise aussi le ruissellement de l’eau, et augmente donc le risque de crues torrentielles. Le maire des Arcs et de Bourg-Saint-Maurice, Guillaume Desrues, a fait le choix de ne plus construire de nouveaux lits sur sa commune qui en compte selon lui 40 000. « En station, il y avait une spirale de construction, constate-t-il. Et les nouveaux logements créés pour compenser les lits froids avaient pour conséquence d’artificialiser les sols. Mais selon moi, cette époque-là est terminée : nous devons gérer le parc existant ! »


Pour le moment, les logements interdits à la location traditionnelle peuvent toujours être proposés sur des plateformes comme Airbnb, qui ne disposent pas des mêmes contraintes environnementales. Un report qui n’est pas souhaitable, selon la présidente adjointe de la chambre FNAIM Savoie-Mont-Blanc. « Il y a un risque que l’interdiction de louer fasse sortir la location du marché officiel, analyse Bérengère Servat. Comme les gens ont envie de venir, ils loueront sur les plateformes. Mais ça va à l’encontre de ce que nous voulons faire. » Pour autant, il n’est pas certain que le risque dure. Une proposition de loi est à l’étude à l’Assemblée nationale pour supprimer la niche fiscale dont bénéficient les plateformes. Si elle est adoptée, le propriétaire sera obligé de transmettre le DPE de son logement pour pouvoir le louer. S’il est classé F ou G, il ne pourra pas être utilisé.


« Qu’il faille rénover, c’est une réalité, insiste Bérengère Servat, mais dans un calendrier adapté aux contraintes de la montagne. Pour le moment, cette loi est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des stations. » Dans un communiqué commun paru en décembre 2022, l’Association nationale des élus de montagne (ANEM), l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) et l’Association nationale des élus des territoires touristiques (ANETT) demandent une adaptation du dispositif : « Si la volonté de tous, et en particulier des acteurs de la montagne, est bien de rénover rapidement ces logements, une application uniforme du dispositif, en zone urbaine comme en zone touristique, aurait des conséquences particulièrement fortes pour les territoires touristiques dont la montagne. »


De nombreux obstacles

Si le communiqué demande des conditions spéciales, c’est qu’en montagne, les freins à la rénovation ne sont pas les mêmes qu’ailleurs. Certes, cela tient en partie à la vétusté de la plus grande partie des habitations, et donc au chantier titanesque qui s’annonce. Mais d’autres raisons viennent renforcer cet argumentaire, la première étant un frein financier. Car une aide existe bien : MaPrimeRénov’, un dispositif mis en place par l’État à destination des propriétaires. Mais s’ils souhaitent en bénéficier, ils doivent louer leur bien en tant que résidence principale durant au moins huit mois de l’année, et ce pendant cinq ans. Une contrainte qui rend inéligible une grande partie des logements dans les stations vidées en dehors des périodes touristiques.


« Ensuite, reprend Bérengère Servat, le frein le plus important pour moi, c’est : comment rénover ? Si vous décidez de faire de l’isolation extérieure, certains propriétaires de l’immeuble risquent de ne pas être d’accord. Et si vous mettez de l’isolant sur vos murs, vous diminuez la taille de l’appartement. Vous perdez donc en surface habitable, ce qui sera préjudiciable à la vente. » Un facteur à ne pas négliger, au vu de la taille déjà restreinte de nombreux appartements. Et pour les travaux de copropriété, la multitude des décisionnaires peut ralentir le processus de rénovation dans les parties communes. Si certains n’ont pas besoin de louer leur bien pour en profiter, pourquoi engageraient-ils des sommes dans des travaux ?


« Il y en a qui se disent que leur appartement vaut ce qu’il vaut, mais que s’ils le rénovent, ils ne pourront plus y accéder pendant peut-être plusieurs années. »

« Il n’y a pas vraiment d’obligation, observe Bérengère Servat. Vous pouvez avoir dans une même résidence des gens qui ont envie d’investir entre 20 000 et 60 000 euros, ce qui est une fourchette très large. Ils doivent comprendre que c’est un investissement patrimonial, qu’ils retrouveront dans la valeur de leur bien à la revente. » Même si l’audit énergétique est devenu obligatoire pour les copropriétés de 50 lots et plus, il est selon l’agence de développement touristique française Atout France « bien souvent insuffisant d’une part pour programmer des travaux de rénovation, et d’autre part pour intégrer les enjeux d’évolution architecturale, d’attractivité touristique, de pérennisation et de valorisation de l’immeuble nécessaire en station. »


Sébastien Mérignargues, directeur d’Avoriaz 1800, se souvient de l’époque où il exerçait la même fonction à Tignes. « Prenez la résidence emblématique du Palafour. Elle fait 300 mètres de long sur 18 étages, et il y a 730 copropriétaires internationaux. Même pour changer la moquette de l’entrée, l’organisation est trop lourde. Dans le bâtiment dans lequel j’habite aujourd’hui, ça a mis deux ans. Et il n’y a que 20 appartements, pas 1 000 ! Entre l’idée et la réalisation, l’équation me paraît impossible dans le calendrier établi. »


D’autant que ces contraintes ne sont pas les seules. Pour un propriétaire, s’engager à rénover son bien, c’est aussi accepter de ne plus l’utiliser pendant le temps des travaux, comme l’explique Bérengère Servat : « Il y en a qui se disent que leur appartement vaut ce qu’il vaut, mais que s’ils le rénovent, ils ne pourront plus y accéder pendant peut-être plusieurs années. » De quoi tempérer les ardeurs, d’autant que la durée des travaux a tendance à s’étirer, comme le relate Bérengère Servat : « En station, il y a des contraintes. Par exemple, vous ne pouvez pas travailler l’hiver. Ensuite, il faut des artisans pour le faire. On a vu des cas de figure où les travaux ont été votés en assemblée générale par la copropriété, mais les artisans n’avaient pas le temps de s’y atteler avant l’année suivante. »


Un problème qui, selon Sébastien Mérignargues, provient aussi d’une pénurie de main-d’œuvre. « Admettons qu’il y ait un puits sans fond qui permette de tout financer. Entre les périodes de travaux liées à l’exploitation touristique, à la météo en altitude, même si on avait l’argent pour le faire, il n’y aurait pas assez d’entreprises en Europe pour tenir le calendrier qui est donné. Mais ce n’est pas une excuse pour ne rien faire », affirme-t-il. En effet, la rénovation peut être vue comme un atout stratégique pour attirer la clientèle. « À Avoriaz, ajoute-t-il, on joue sur le côté piéton, et sur l’aspect du développement durable imaginé il y a 60 ans, avec une architecture tout en bois, naturelle. Tout cela correspond à une évolution sociétale, et ça nous aide à mieux remplir la station, à mieux la vendre. Donc on est promoteurs de cette dynamique. »


Quels outils pour relever le défi ?

À Tignes, lorsqu’il en était directeur, la centrale de réservation de la station avait obligé les propriétaires à rénover leurs biens selon un certain standing pour accepter de les louer. Une opération voulue pour lutter contre la vétusté des habitats, peu en phase avec les attentes de la clientèle. « Quelque part, ces logements participaient à notre image. On avait donné trois ans aux propriétaires, en leur proposant une assistance à maîtrise d’ouvrage de A à Z et en leur attribuant un certain montant de subventions par mètre carré, cofinancé par la commune et les remontées mécaniques. On préférait ne pas interdire la location demain, mais dire : vous avez jusqu’à après-demain, et voilà les outils que vous avez à disposition. » Cette méthode s’est heurtée à un problème principal : les copropriétés. Car si les appartements sont montés en gamme, les espaces communs des immeubles, eux, n’ont pas connu la même trajectoire.


« Nous avons un intérêt économique et écologique à le faire. En Tarentaise, le chiffre d’affaires potentiel de la rénovation sur dix ans s’élève à dix milliards d’euros. C’est un enjeu absolument considérable »

Outre l’adaptation du calendrier revendiquée par les élus de montagne, la FNAIM, de son côté, prône plusieurs solutions : premièrement, la facilitation du diagnostic de performance énergétique, pour mieux appréhender les travaux nécessaires. Ensuite, elle préconise l’abaissement, en zone touristique, du seuil de résidences principales nécessaires pour être éligible à MaPrimeRénov’ Copro, réservée aux copropriétés. Actuellement à 75 %, il bloque l’obtention d’aides dans la majorité des territoires de montagne. Enfin, elle propose la création de « MaPrimeRénov’ Tourisme », un dispositif qui permettrait d’obtenir des aides en échange de contreparties, notamment sur le taux d’occupation des logements. Une manière de réduire le nombre de lits froids, et de participer au développement du territoire.


Pour le maire des Arcs Guillaume Desrues, « il faut s’appuyer sur la loi. On ne peut que se servir d’outils, il y a donc une vraie réflexion à avoir au niveau parlementaire pour accompagner les maires dans l’aménagement. » Lui a choisi de faire payer plus cher le prix de l'eau aux copropriétés en station. « Nous avons un intérêt économique et écologique à le faire. En Tarentaise, le chiffre d’affaires potentiel de la rénovation sur dix ans s’élève à dix milliards d’euros. C’est un enjeu absolument considérable », affirme-t-il. Preuve que la rénovation énergétique des stations, une fois le sac de nœuds démêlé, pourrait s’avérer être un formidable atout pour les stations de ski.

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