On assiste aujourd’hui à une montée du « ski-bashing », comme l’illustrent les critiques contre le projet de nouvelle retenue collinaire à La Clusaz. Quelle est votre position par rapport à ce phénomène ?
Je ne souhaite pas répondre à cela, si ce n’est en montrant des résultats concrets. Il faut entendre ce cri du «ski-bashing » : on ne peut plus continuer comme avant, tout le monde est d’accord là-dessus. Au final, tout ce qui compte, c’est la rapidité de la prise en compte de l’empreinte écologique de nos activités. Mais il ne faut pas oublier non plus que celles-ci génèrent de l’emploi. Tout l’enjeu, c’est d’arriver à trouver le juste équilibre entre la prise en compte de la dimension environnementale, et les conséquences sociales et économiques de cette transition écologique. Tout ceci ne peut pas se faire en un claquement de doigt. Avec les hérauts du ski-bashing, nous sommes en désaccord sur la rapidité d’exécution de la transition écologique, mais non sur son bien-fondé. Notre réponse, c’est d’agir, pas d’alimenter les débats.
Justement, de quelle façon œuvrez-vous pour cette transition écologique ?
En investissant 50 millions d’euros dans les dix ans à venir pour l’accélérer. J’avais annoncé dès ma prise de fonction, le 1er juin 2021, l’ambition du groupe d’atteindre le Net Zéro Carbone à l’horizon 2030. Cela passe bien sûr par la suppression des émissions liées au damage, lequel représente la première source d’émission de gaz à effet de serre des activités de montagne du groupe, avec près de 80 % de son empreinte carbone directe du fait de l’usage des énergies fossiles. C’est pourquoi dès cet hiver 2022-23, après un test concluant mené l’hiver dernier aux Arcs puis à La Plagne, les 130 dameuses qui opèrent sur nos 8 domaines skiables fonctionneront avec du carburant de synthèse HVO (fabriqué à partir de déchets de graisses et d’huiles végétales usagées, sans huile de palme), qui réduit les émissions de CO2 de 90 % et de 65 % celles de particules fines. Il y a certes un surcoût de 10 centimes par litre, mais ça en vaut la peine. Ce carburant HVO est aussi utilisé pour la flotte de navettes du réseau de transport en commun Valbus, à Val d’Isère (opéré par Val d’Isère Téléphériques), sachant qu’il y aussi déjà deux bus électriques qui circulent dans la station cet hiver. Toute la flotte sera progressivement renouvelée, avec un objectif de 15 bus électriques d’ici 2025 et une économie attendue de 18 tonnes d’équivalent C02 par an et par véhicule. En moyenne, tous nos domaines skiables atteindront le net zéro carbone en 2026. Le solde de 10 % d’émissions de C02 restantes sera compensé par du reboisement de parcelles au plus près de ces émissions résiduelles, grâce à un partenariat avec l’ONF. Sachant que lorsqu’on reboise, la séquestration de CO2 intervient cinq ans plus tard.
Quid des dameuses électriques ?
Nous avons aidé CM Dupon, un fabricant français basé à Pontcharra (Isère), à mettre au point une dameuse électrique 100 % française. Le prototype que nous avons testé l’hiver dernier à La Plagne a donné satisfaction, tant au niveau de la consommation – il permet en moyenne l’économie de 80 tonnes équivalent CO2 à l’usage par an, et de 500 tonnes équivalent CO2 sur la durée de vie d’une dameuse, y compris la fabrication des batteries – que de l’autonomie. Celle-ci atteignait cinq heures trente à six heures. Cet hiver, on pourrait arriver à huit heures d’autonomie. Il en faut environ six pour assurer un poste de damage, auquel il convient d’ajouter deux heures pour être vraiment tranquille et faire face à des conditions extrêmes (grand froid notamment). Si on parvient effectivement à cette autonomie de huit heures, la CDA passera sans hésiter à l’électrique pour toute sa nouvelle génération de dameuses. Sachant qu’il faut huit ou neuf ans pour tout remplacer : notre parc de dameuses a quatre ans en moyenne, et nous le renouvelons par huitièmes. On fait le choix de l’électrique plutôt que de l’hydrogène, notamment parce que la production d’hydrogène vert est beaucoup trop limitée à ce jour. Il y a une seule centrale à Moûtiers, qui doit en produire quelque chose comme 150 kilos par an, or il m’en faudrait 20 tonnes pour alimenter toutes mes dameuses ! Sans oublier le problème du transport de cet hydrogène – par camion – du lieu de fabrication jusqu’aux dameuses en station. En l’état actuel des choses, je ne suis pas convaincu par l’hydrogène.
"Vous ne nous verrez pas sur les Jeux asiatiques d’hiver 2029 en Arabie Saoudite ! "
Quels sont les autres engagements écologiques de la CDA ?
Aujourd’hui, on travaille avec deux monnaies : l’euro et le CO2. On fait auditer nos bilans carbone par un commissaire aux comptes. Tous les managers du groupe, moi compris, ont une part variable de leur intéressement indexée à leurs résultats en termes de réduction des émissions de CO2. Nos appels d’offres incluent aussi une clause privilégiant, à conditions égales, les fournisseurs ayant eux-mêmes une trajectoire de réduction de leur empreinte carbone alignée sur les Accords de Paris. Même s’il y a des marchés très alléchants à la clé, il est hors de question pour nous d’apporter notre expertise à des stations dont la neige n’est pas en majorité naturelle. Autant dire que vous ne nous verrez pas sur les Jeux asiatiques d’hiver 2029 en Arabie Saoudite ! Nous avons certes encore un contrat en cours dans un ski-dôme vers Shangaï, mais il se termine dans quelques semaines. Et après cela, vous ne nous verrez plus dans de telles structures. Nous devrons encore nous exprimer avec des actions fortes sur l’eau et la biodiversité. Mais pour cela, nous attendons les résultats d’études scientifiques réalisées par divers acteurs (CNRS, INRAE, et même des doctorants que nous avons recrutés à cet effet), qui devraient être rendues publiques en 2023. Dès lors que nous disposerons de ces données scientifiques, nous pourrons annoncer des mesures concrètes. C’est important de s’appuyer sur la science, afin d’avoir des données irréfutables.
Comment la crise énergétique vous impacte-t-elle, et par ricochet les skieurs qui viennent dans vos stations ?
Le prix de l’électricité avait déjà bondi de 50 % l’hiver dernier, et de plus de 300 % cet hiver. Depuis 2019, cela représente une facture multipliée par cinq pour nos domaines skiables. En tant que délégataire de service public, nous nous engageons sur la sobriété énergétique (dans l’objectif de réduire nos consommations de 8 à 10 %). Mais celle-ci doit être invisible du service offert sur nos domaines skiables. Il n’est pas question de dégrader l’expérience client ! Concrètement, nous n’avons pas fait le choix de raccourcir la saison. Et rassurez-vous, votre temps de trajet le télésiège restera le même ! Par ailleurs, nous n’entendons pas réduire nos investissements dans nos domaines skiables à cause de la crise énergétique.
A ce propos, vous venez de signer un engagement historique avec Poma, pour un contrat de 200 millions d’euros d’ici 2026…
Ce choix nous apparaît logique dans la mesure où Poma est le leader mondial du transport par câble. C’est surtout un constructeur isérois et savoyard qui fait travailler plus de 1300 collaborateurs majoritairement situés sur le territoire alpin (Isère, Savoie, Haute-Savoie), où sont implantés l’essentiel des domaines skiables que nous exploitons. Ce facteur humain, couplé à la performance opérationnelle et environnementale de Poma, a été un des éléments déterminants du choix réalisé par la CDA. S’engager jour après jour, sans relâche, pour notre territoire comme pour nos délégants, nos clients, nos partenaires et nos collaborateurs constitue un des axes majeurs de notre raison d’être.
Ce contrat concernera principalement le remplacement d’appareils structurants : les remontées mécaniques du secteur du Pontillas à Serre-Chevalier, de Lonzagne à Peisey-Vallandry, du Transarc et de la télécabine de Villaroger aux Arcs, du télésiège de l’Aiguille Rouge à Tignes, du télésiège du Sairon sur le Grand Massif et de la télécabine des Glaciers et de la Roche de Mio à La Plagne. Pour autant, cette enveloppe ne concerne pas l’ensemble de nos investissement dans les domaines skiables, qui représentent environ 100 millions d’euros par an, soit 500 millions jusqu’à 2026. Pour les autres remontées mécaniques (et autres aménagements réalisés sur le domaine skiable), nous serons amenés à choisir entre plusieurs constructeurs, y compris Poma.
"Les tarifs de l’hiver en cours étaient déjà fixés, et ceux de l’hiver prochain ne devraient pas augmenter davantage qu’à l’ordinaire"
Il faudra néanmoins amortir le surcoût lié à la crise énergétique d’une manière ou d’une autre…
Oui. C’est pourquoi nous allons essayer de travailler différemment pour le compenser. Par exemple, jusqu’au 31 décembre, on paye encore le prix de l’électricité de 2022. C’est pourquoi on va essayer de produire le maximum de neige de culture d’ici à la fin de l’année. Il y a d’ailleurs certaines de nos stations qui ont déjà produit toute leur neige de culture – sur les secteurs d’altitude – de l’hiver 2022-23. Certes, le gros de la production se fait toujours sur novembre et décembre, mais on est quand même en temps normal plutôt sur des proportions deux tiers / un tiers (avant / après le 31 décembre). On va aussi travailler sur une meilleure isolation de nos bureaux, sur les bâtiments intelligents (qui évitent de chauffer à 2h du matin quand il n’y a personne dedans…), bref sur toute une série de petites mesures. Mais il est évident qu’on ne peut pas répercuter la totalité de cette hausse du coût de l’énergie sur le prix des forfaits. Les tarifs de l’hiver en cours étaient déjà fixés, et ceux de l’hiver prochain ne devraient pas augmenter davantage qu’à l’ordinaire (soit souvent de l’ordre de 2 à 3 euros, une augmentation indexée sur l’inflation).
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