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Fonte des glaciers : quelles conséquences en 2050 ?


Réchauffement climatique : voici à quoi pourraient ressembler nos montagnes en 2050


"Dans le massif du Mont blanc par exemple, les gros glaciers vont subsister. Par contre, tous les ensembles glacières que l’on voit et qui sont situés en dessous de 1500 m d’altitude vont probablement disparaître d’ici à 2050", explique Delphine Six, glaciologue.


Fonte des glaciers, disparition progressive du manteau neigeux, épisodes d’inondations ou de sécheresse récurrents, disparition des cultures et des espèces, augmentation des risques… le réchauffement climatique altère les écosystèmes de nos montagnes et se répercutent directement sur nous. Projection dans le paysage montagnard de 2050.


2003, une première canicule de grande ampleur frappe la France. Depuis, l’arrivée de ces fortes chaleurs est devenue un phénomène régulier entraînant son lot de conséquences. L’eau, sous toutes ses formes, en tant que glacier, manteau neigeux, ou tout simplement eau, s’évapore ou au contraire, déborde, obligeant les espèces à s’adapter pour leur survie.


Mais comme un retour de bâton, ces aléas climatiques provoqués par l’homme se répercutent directement … sur lui et ses activités. Pratiquer la montagne, surtout en hiver, engendre de plus en plus de risques. Aujourd’hui, faire de l’alpinisme nécessite une connaissance du terrain bien plus importante qu’auparavant.


Interrogeons-nous aujourd’hui sur l’héritage montagnard que nous laissons aux générations futures ? En 2050, à quoi ressembleront nos montagnes alpines ?


Fonte des glaciers

À titre d’exemple, la Mer de Glace, plus grand glacier de France, a perdu près de 100 mètres d’épaisseur en 20 ans. Rien que l’été dernier, la glace a fondu de 16 mètres. Un record ! Certaines journées, 80 centimètres s’évaporent en l’espace de seulement quelques heures.


Avec seulement une trentaine de mètres d’épaisseur à 1913 mètres d’altitude, la gare de Montenvers pourrait dire adieu à sa glace d'ici deux à trois ans.


"On est en train de contempler ça, mais on devrait pleurer. C’est vraiment le symbole d’un monde qui change", souligne Yann Arthus-Bertrand désespéré. "Je viens d’une époque où l’on croyait que l’on allait pouvoir arrêter tout ça", ajoute le photographe et militant écologiste résigné.


L’épaisseur, mais aussi la longueur de cette couche de glace diminuent d’années en années. Il faut aujourd’hui monter à 2.000 mètres d’altitude pour espérer trouver de la glace quand 1500 mètres suffisaient en 2003. Quid de 2050 ? Et bien, il faudra monter à 3.000 mètres pour s’approcher du glacier.


Ce glacier ne fait pas exception. D'ici à 2100, les spécialistes prévoient la disparition de 80 % d’entre eux. "Dans le massif du Mont blanc par exemple, les gros glaciers vont subsister. Par contre, tous les ensembles glacières que l’on voit et qui sont situés en dessous de 1500 m d’altitude vont probablement disparaître d’ici à 2050", explique Delphine Six, glaciologue.


Ça va poser des problèmes pour nos rivières alpines et notamment pour la quantité d’eau typiquement en été. Si l’on a plus cette glace qui fond, on va assécher nos rivières. Et ça risque d’être un problème pour tout ce qui est biodiversité, tout ce qui est approvisionnement en eau des nappes phréatiques. On va vers un changement dans la saisonnalité des rivières.

Delphine Six, Glaciologue


Sécheresse versus inondations à répétition

Les lacs, alimentés par les glaciers, eux aussi souffrent du réchauffement climatique et voient leur eau petit à petit s’évaporer. À chaque période de canicule, le niveau du lac d’Annecy baisse d’environ un centimètre par jour.


Or, selon une étude de Drias et de Météo France publiée en 2022, la ville savoyarde devrait être, dès 2040, la ville de France la plus touchée par les canicules, devant Lyon et Chambéry qui complète ce "podium". Au total, l’étude comptabilise 16 jours de canicule à Annecy par an, en moyenne.


La côte du lac en plein centre-ville d’Annecy est de 80 centimètres. En octobre 2023, elle est descendue à 24 centimètres. Et ce n’est même pas le record. Ce dernier date d’octobre 2018, lorsque le niveau de l’eau a baissé à 16 centimètres, puis à 6 centimètres quinze jours plus tard. Ce n’était pas arrivé depuis 1947 !


Après la sécheresse estivale, place aux inondations. Décembre 2023 a vu naître une série de débordements, l’eau pouvant atteindre jusqu’à 129 centimètres. Du jamais vu depuis plus de 30 ans. Au-delà de 90 centimètres, on considère que le lac déborde. C’est bien simple, en un siècle, le lac n’avait débordé que trois fois : en 1910, en 1944 et en 1990.


Depuis la disparition du glacier du Rhône il y a de cela plusieurs siècles, l'eau du lac d'Annecy est régulée artificiellement, comme de nombreux lacs de la région. Mais aujourd'hui, cela ne suffit plus à maintenir l'équilibre du lac face aux aléas climatiques trop importants ces dernières années.


D'autant plus qu'à ces changements climatiques, s'ajoute une mauvaise gestion de la ressource. "Au cours du 20ᵉ siècle, on a beaucoup trop consommé d'eau. Plusieurs études montrent qu'en France, le débit moyen des rivières devrait diminuer de 10 à 40 % d'ici à 2050", souligne Juliette Duquenne, auteure de "L’eau que nous sommes".


Trop ou pas assez d'eau, "ça pose un problème pas uniquement pour les aspects quantitatifs de l’eau, mais aussi la température", souligne Charlène Descollonges, hydrologue, avant d'ajouter : "Un lac alpin a des périodes froides comme actuellement, mais lorsqu’il fait trop chaud, ça va venir perturber la répartition de la température le long de la colonne d’eau et ça va perturber tout un écosystème". Rappelons que ce lac est une source de nourriture, mais aussi un réservoir d'eau pour près de 150 000 habitants.


La solution de Charlène : l'hydrologie régénérative. Nos activités ont accéléré le cycle de l'eau, en rendant les sols imperméables aux gouttes d'eau, ce qui, de fait, accélère le ruissellement et altère le niveau de l'eau des lacs.


L’idée, c'est de ralentir cette goutte de pluie, de faire en sorte qu’elle se réinfiltre dans les sols pour ré-humidifier, réhydrater les sols. On va donc aménager ce que l’on appelle des baissières ou des noues, ce sont des tranchées végétalisées construites perpendiculairement à la pente, un peu comme les terrasses des rizières et derrière chaque tranchée, on va mettre de la végétation qui permet de ralentir l’eau et de recréer tout un corridor de biodiversité et de stocker du carbone.

Charlène Descollonges

Hydrologue


Autre solution évoquée par la journaliste Juliette Duquenne, revoir notre consommation et notre gestion de l'eau. "L'eau, ça se gère collectivement. Aujourd'hui ça nous divise, mais on peut espérer que pour demain ça puisse commencer à nous unir".


Recul du manteau neigeux

La glace, l'eau et maintenant, la neige. Elle aussi disparaît sous l'effet du réchauffement climatique, surtout en basse et moyenne montagne, souvent remplacée par de la pluie.


À 1800 mètres d'altitude par exemple, la hauteur moyenne du manteau neigeux passerait de 80 à seulement 25 centimètres d'ici à 2040. Et l’enneigement serait réduit d’un mois par an… jusqu’à trois mois à l’horizon 2080. Le site du col de Portes dans les Alpes a par exemple perdu 40 % de son manteau neigeux depuis 1960.


Un phénomène lié à la hausse des températures. + 2 degrés dans le meilleur des scénarios, + 5 ans le pire d’ici à 2100 selon les modèles envisagés. Or, une hausse d’un seul degré fait remonter de 150 mètres la limite pluie / neige. Avec 5 degrés de plus, cette limite remontrait donc de 750 mètres !


Le problème, c'est qu'un "sol qui est recouvert de neige, il est plus tempéré et va avoir tendance à être un peu moins chaud qu'un sol qui serait déneigé plus vite, comme maintenant au printemps et en hiver", explique Marie Dumont, chercheuse au centre d’étude de la neige. Elle souligne une fois de plus l'impact négatif que cela entraîne sur la biodiversité des montagnes, les espèces qui vivent dans cette neige.


La neige, ça réfléchit les rayons du soleil. Ça veut dire qu'elle n'absorbe pas l'énergie du soleil. En gros, la neige, elle va limiter le réchauffement. C'est que l'on appelle l'effet albédo.

Marie Dumont

Chercheuse au centre d’étude de la neige


Donc en résumé, l'activité humaine, l'activité ski notamment, provoque le réchauffement climatique qui fait disparaître le manteau neigeux censé limiter les effets du réchauffement climatique.


Le conseil de Valérie Paumier, Fondatrice de Résilience Montagne, une association qui alerte sur les impacts du réchauffement climatique et propose des alternatives :


On ne peut pas stopper l'activité économique engendrée par le sport d'hiver. En revanche :

On devrait rénover l'existent et décarboner la mobilité. On a 3.4 millions de lits et les 3/4 sont des passoires énergétiques qui sont fortement émettrices mais on construit du neuf. On accentue la fréquentation de clientèle lointaine.

Valérie Paumier

Fondatrice de Résilience Montagne


Changement des cultures

Qui dit réchauffement climatique, dit raréfaction de la ressource en eau, bouleversements de la biodiversité et ... modifications des cultures. Par exemple, dans le Vercors, en Isère, les scientifiques estiment que les clémentiniers, les oliviers et de la lavande pourront pousser sans problème. Un peu comme en Corse ou en Provence. Près de Vienne, un agriculteur fait d’ailleurs déjà pousser la célèbre fleur bleue.


Au contraire, les noix de Grenoble pourraient bien disparaître, les conditions climatiques n'étant plus favorables à leur développement. Certains nuciculteurs ont déjà pris les devants en plantant des oliviers juste à côté de leurs noyers. Plus étonnant encore, le kiwi pourrait trouver dans nos plaines un terrain propice à son développement.


Pourquoi les cultures devraient être modifiées d'ici à 2050 ? Parce que le climat va "remonter" de 400 kilomètres du sud vers le nord et de 400 mètres en altitude. Grenoble aura donc le climat de Marseille. Annecy aura celui d’Avignon…Quant à Chamonix, à 1.000 mètres d’altitude, son climat ressemblera davantage à celui d’Annecy.


Arboriculteur, Jean-David Baisamy remarque des "périodes plus denses de pluviométrie", des "périodes très sèches", mais aussi, "beaucoup plus de vent qu'avant et dans des directions que l'on n’avait pas l'habitude de voir".


"On a en moyenne, depuis une quinzaine d'années, 8 jours minimum d'avance de floraison, avec des amplitudes très importantes comme cette année. C'est la deuxième fois depuis que je suis arboriculteur que je vois une saison aussi précoce". Dans ces conditions, l'arboriculteur et vice président de la chambre d'agriculture est obligé de s'adapter, d'où le changement de cultures.


On va choisir des porte-greffes (système racinaire, ndlr), qui vont être un peu plus forts, qui vont mieux aller chercher les ressources en eau dans le sol. On va choisir des variétés qui vont fleurir un peu plus tard, car plus on fleurit tôt, plus le risque gel est là.

Jean-David Baisamy, arboriculteur


D'autres moyens pour pallier ces aléas climatiques qui incitent à une modification des cultures : "Pour suivre l'eau qui est dans le sol, on met en place des sondes capacitives qui vont analyser à quel moment le végétal risque de rentrer en stress et d'apporter juste l'eau nécessaire à la culture, sans surplus". Et sinon, tout simplement, ... replante de la végétation afin d'apporter de l'ombre aux animaux et de maintenir leur écosystème.


Des espèces en danger

Si certaines espèces invasives font leur apparition sous l’effet du réchauffement climatique, d’autres, disparaissent. La première d’entre-elles, c’est la marmotte. Cette dernière souffre de l’absence de neige dont l’effet isolant lui est très utile pendant la période d’hibernation. Consommant plus d’énergie pour lutter contre le froid dans leur terrier, de plus en plus de marmottes meurent avant le retour des beaux jours. Une surmortalité que l’on constate surtout chez les marmottons.


Les cerfs et les biches, eux, ont dû déplacer leur lieu de vie. Pour se nourrir notamment, ils n’hésitent plus à prendre de l’altitude quitte à entrer sur le territoire des bouquetins et de leurs femelles, les étagnes. Les bouquetins, plus faibles, doivent par la force des choses, monter encore plus haut, là où la nourriture se fait plus rare et la vie plus difficile, afin de ne pas rentrer en concurrence avec les cerfs et les biches.


D’autres espèces, comme le lagopède alpin, une espèce frigophile, souffrent d’une désynchronisation de leur pelage. « Le plumage l’hiver, qui est totalement blanc, ne joue plus son rôle de protection contre les prédateurs », explique Jean-Christophe Poupet, responsable du programme Alpes WWF France. Il évoque également le dérangement causé par les touristes, skieurs et randonneurs notamment et des activités qui en découlent.


Le conseil de Jean-Christophe Poupet pour protéger ces espèces en danger :

Arrêter de les déranger lors des périodes les plus critiques de leur vie


Stopper la chasse sur ces espèces dont on ne connaît même pas la population mais dont on est certain qu’elles vont s’éteindre

Cesser de grimper les parois lorsqu’il s’agit de la période des naissances pour certaines espèces ?


Veiller à ne pas traverser les zones de vie lors des randonnées à ski, par exemple ?

Faire davantage connaître ces espèces souvent méconnues (Lagopède, Tétras-Lyres) pour davantage inciter à les protéger


Et le loup dans tout ça ? « On sait que ça va causer un certain nombre de problèmes. Ça génère un changement de donne pour l’agriculture mais aussi pour le tourisme », affirme le spécialiste. Il souligne cependant le travail collectif de suivi mené par les collectivités et différents acteurs du monde de la chasse, des organisations de protection de la nature et coordonné par l’Ipra.


Le Lynx également fait son apparition de plus en plus proche des habitations et ce travail de recherche est essentiel afin « d’avoir une photographie la plus juste de la situation dont on sait prometteuse pour la viabilité de cette espèce ». « Il faut réapprendre à coexister entre activité humaine et prédateurs », conclut le spécialiste.


Augmentation des risques naturels

L’humain, s’il est la cause du réchauffement climatique, subit de plein fouet ses effets. Crues, coulées de boue, éboulements provoquent chaque année la mort de milliers de personnes. Ces catastrophes, l’humain les doit en partie au développement de lacs glaciaires qui accumulent des centaines de milliers de mètres cubes d’eau au-dessus de nos vallées.


Ils exercent une pression de plus en plus importante sur les barrages qui cèdent et dévastent les vallées situées en aval. Dans le monde, la surface et le volume de ces lacs a déjà augmenté de 53% sous l’effet du réchauffement climatique.


Quant aux éboulements, ils se multiplient également sous l’effet du réchauffement climatique, en particulier dans le massif du Mont-Blanc. Rien que sur l’année 2022, 250 éboulements majeurs ont été recensés dans le massif, selon le laboratoire Edytem.


Un chiffre suffit à expliquer cette situation : le 18 juin 2022, le thermomètre affichait 10.4 degrés au col Major, juste sous le sommet du mont Blanc. Un record absolu ! La glace fond et notamment le permafrost, ce ciment gelé en permanence à l’origine de la soudure entre les parois rocheuses.


« Quand tu te plonges dans un topo qui a été édité il y a plusieurs dizaines d’années et que tu vois que beaucoup de courses ne sont plus faisables aujourd’hui, là ça choc », explique Charles Dubouloz, alpiniste habitué aux exploits dans le massif des Alpes.


« Ça visibilise quelque chose qui est invisible. Les 1.5 degré on ne les ressent pas. On va ressentir les canicules, mais on ne ressent pas la différence sur la peau, on ne les ressent pas dans le quotidien. Même les pertes de biodiversité, ce sont des choses que l’on ne voit pas », ajoute le passionné de montagne qui se doit d’alerter sur ces changements.


Mais pour autant, il n’incite pas à arrêter la pratique. Il faut s’adapter. « Ça demande de développer d’autres compétences, de réfléchir autrement notre pratique », souligne l’alpiniste, aux côtés du guide de montagne Xavier Cailhol. Ce dernier est également géographe au laboratoire Edytem de l’Université Savoie Mont-Blanc et il l’explique : « On a des stratégies à court terme, c’est comprendre ce qu’il se passe pour pouvoir continuer à faire la même pratique en gérant le risque. Et après on a vraiment une stratégie à long terme ou l’on se dit il faut que l’on change l’imaginaire autour de l’activité.


On a construit tout un imaginaire autour de la montagne bien blanche, des conditions toujours immaculées, ca, ça a changé, ça n’existe plus. Aujourd’hui, il faut être un peu météorologue, climatologue, un peu glaciologue, et avoir du temps. Il faut pouvoir profiter des créneaux au moment où ils sont là.

Xavier Cailhol, alpiniste et géographe

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