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Chambéry : la lutte contre la sécheresse s'intensifie


Plan de sobriété, captage réduit des sources, grands travaux… Autour du lac du Bourget, un big bang de la gestion de l’eau est en marche.


Au volant de sa voiture, Julie Camus grimpe l'étroite et sinueuse route qui surplombe la banlieue de Chambéry et le lac du Bourget (Savoie), accrochée au massif de l'Épine. Elle gare le véhicule près d'une discrète trappe, qui protège l'accès à un bloc de béton enterré dans le sol d'un carré d'herbe. La jeune chargée de ressource en eau et environnement au service des eaux de l'agglomération tourne la clé et ouvre la lourde porte de métal pour dévoiler le précieux trésor que cache le site : une source.


Ici, l'agence de l'eau du Grand Chambéry capte, chaque seconde, des dizaines de litres d'eau, injectés dans le réseau d'eau potable. La source remplit le petit bassin souterrain dans un bruyant tumulte, et une partie de l'eau s'engouffre dans des tuyaux. Le trop-plein est rejeté dans le cours d'eau pour reprendre son chemin naturel. Cela fonctionne ainsi sur des dizaines de sources autour du lac, depuis des siècles… Mais les autorités locales préparent une révolution.


Un débit minimum pour la nature

Dans quelques mois, il faudra laisser au moins 15 litres d'eau par seconde se déverser dans le ruisseau, pour préserver sa biodiversité, notamment les espèces qui y vivent. C'est le débit de restitution. « Aujourd'hui, on prend tout ce dont on a besoin, quitte à l'assécher », explique Cyrille Girel, du service des eaux. Un changement radical de paradigme, car « le cours d'eau sera désormais prioritaire, pas la consommation humaine ».


Aujourd'hui, toute l'eau nécessaire aux besoins humains est pompée dans la source, seul le trop plein est rendu à la nature. Quitte à assécher le cours d'eau.


Un big bang qui découle du plan de gestion de la ressource en eau (PGRE) adopté en 2016 par le Cisalb, l'organisme qui coordonne la gestion de l'eau autour du lac du Bourget et de Chambéry. « En 2022, détaille Julie Camus, on n'aurait pu exploiter cette source que huit à neuf mois sur l'année avec cette règle. » Des millions d'euros sont donc investis pour brancher les réseaux qui ne l'étaient pas aux pompages de la nappe phréatique chambérienne et du lac, afin de pouvoir se passer des sources lors des périodes de tension.


Le PGRE prévoit également, outre ces débits de restitution, un plan de lutte contre les fuites, un accompagnement des agriculteurs et des industriels pour réduire leur consommation en eau avec des équipements plus économes, de la pédagogie auprès des habitants et des engagements des communes. « Il faut prendre toute la chaîne en compte, souligne Cyril Girel, car si on s'empêche de pomper dans une source mais que d'autres viennent tout prélever en aval, ça ne sert à rien. »


« Prendre conscience que ça n'est pas open bar »

Un plan « ambitieux », selon les élus, « qui a donné un coup d'avance » sur les sécheresses à répétition de ces dernières années, salue Marie-Claire Barbier, présidente du Cisalb et maire d'une commune du secteur. De la sécheresse en montagne ? « C'est contre-intuitif, car nous sommes à côté du plus grand lac français, mais oui, nous manquons d'eau », acquiesce Renaud Jalinoux, directeur de l'organisme. Impossible de s'en contenter : il faut diversifier les sources d'approvisionnement pour ne pas être vulnérable aux éventuelles pollutions, bactéries et autres algues invasives.


Et ces sources se tarissent d'autant plus que le réchauffement climatique est plus fort dans les Alpes : quand le PGRE a été adopté en 2016, cela faisait trente années de suite que la température moyenne annuelle était supérieure à la normale. « La mer de glace a fondu de 140 mètres en cinquante ans : c'est l'équivalent en eau du lac d'Annecy qui a disparu. »


« Les sécheresses sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus tardives, embraye Florent Bérard, chargé de mission ressource en eau au Cisalb. On a de moins en moins de neige [qui alimente les cours d'eau en fondant, NDLR], le débit de nos rivières diminue… » Et de doucher les espoirs de ceux qui croient en une « solution miracle » : « Il n'y en a pas, il faut réadapter nos usages à la ressource. » Autrement dit par Marie-Claire Barbier, « prendre conscience que ça n'est pas open bar ».


Ne pas être dogmatique

Côté aménagements, le Cisalb et les communautés de communes ne s'interdisent rien. À La Motte-Servolex, entre Chambéry et le lac, une réserve d'eau surplombe la vallée depuis trois ans. Ce bassin ovale de 12 000 m3, imperméabilisé par une bâche en plastique vert, permet aux trois agriculteurs voisins d'irriguer 7 hectares de maraîchage et d'arboriculture. Une installation baptisée « retenue collinaire », qui fait furieusement penser aux mégabassines contre lesquelles se soulèvent les militants écologistes, bien que dix à quinze fois moins grande.


« Ça n'a pourtant rien à voir, désamorce d'emblée Florent Bérard. Ici, on ne pompe pas d'eau dans les nappes pour la stocker à l'air libre. » Et de pointer l'autoroute qui passe quelques mètres plus haut, derrière une rangée d'arbres. Un fossé voisin en évacue l'eau de pluie, et sert donc désormais à alimenter le bassin. Le projet a pu se concrétiser sans contestation, car le Cisalb a rassemblé tout le monde autour d'une même table pour trouver la solution, agriculteurs comme associations écologistes.


Les sources, comme celle-ci à La Motte-Servolex, devront à l'avenir se voir réserver un débit minium à rendre au cours d'eau.


« Face à la sécheresse, il ne faut pas être dogmatique, n'écarter aucune solution a priori. Mais ce qui marche ici ne fonctionnerait sûrement pas en face », prévient le chargé de mission. En parallèle, les agriculteurs ont été accompagnés pour investir et revoir leur système d'irrigation pour consommer moins, car « le but n'est pas simplement d'avoir de l'eau pour l'utiliser n'importe comment derrière ».


Vers des quotas ?

Marie-Claire Barbier acquiesce : « Plus que de trouver des moyens alternatifs, l'urgence est de réduire nos besoins en eau. » Avec son « coup d'avance », le gestionnaire de l'eau savoyard relève-t-il le défi ? Le bilan de ce PGRE, arrivé à son terme en 2022, est en train d'être tiré, mais Florent Bérard reconnaît que la consommation d'eau globale n'a pas vraiment baissé, « car le territoire est très dynamique et continue d'attirer de nouveaux habitants et entreprises ». Les économies fonctionnent, mais elles ne permettent, pour l'instant, que d'absorber l'expansion de l'agglomération.


La sécheresse record de l'été 2022 a, comme partout en France, secoué même les mieux préparés. L'inquiétude grandit, d'autant que l'hiver n'a pas été meilleur. « En février, s'alarme Florent Bérard, nous n'avons eu que 5 millimètres de pluie. Et il n'y a déjà plus de neige sur nos massifs, alors que nous ne sommes que début mars ! » Malgré la révolution déjà engagée par le Cisalb, sa présidente n'hésite plus à parler de quotas. « Si la pédagogie ne suffit pas, que rien ne change… S'il faut le faire, on le fera. »

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