La Compagnie des Alpes se sert de la station de La Plagne comme d'un laboratoire d'innovations. Le dernier exemple en date, baptisé Plagne Access, propose le paiement dématérialisé, via le forfait de ski. Nous avons fait le point sur les développements technologiques de la station avec Thomas Saison, directeur marketing à La Plagne chez Compagnie des Alpes.
A La Plagne, le forfait de ski ne sert pas que pour les remontées mais aussi pour les achats
TourMaG.com - Pourriez-vous revenir sur la genèse du projet de Plagne Access ?
Thomas Saison : Depuis 15 ans, toutes les stations utilisent des forfaits magnétiques en RFID (radio-identification ndlr), sauf que personne ne s'est posé la question de savoir que le forfait pouvait être un CRM, ni même de développer la technologie pour lui inclure un moyen de paiement.
Nous voulions trouver un objet connecté qui fasse office, dans la station, de moyen de paiement et nous nous sommes arrêtés sur l'idée du forfait de ski.
Nous avons inclus un service bancaire dans la puce du forfait, en paramétrant une carte bleue rattachée au forfait en passant par l'application Yuge (appli du domaine Paradiski, ndlr).
La techno utilisée est issue de PayinTech, que nous avons sorti de leur métier d'origine (événementiel, ndlr), pour rentrer dans une démarche de smart resort. Ce que nous avons fait avec Plagne Access.
Cela nous permet d'avoir une partie CRM et d'analyser la consommation de ski sur le domaine.
TourMaG.com - Il y a 3 ans, vous lanciez l'application Yuge, destinée à délivrer de l'information aux visiteurs de la Plagne, où en êtes-vous de son développement ?
Thomas Saison : Nous comptons aujourd'hui plus de 500 000 utilisateurs, et nous continuons sans cesse de mettre à jour l'application.
Nous avons ajouté les performances des skieurs, la carte des services, la possibilité de récupérer des médias exclusivement réservés aux utilisateurs, mais aussi l'affluence en temps réel sur les remontées et les pistes...
L'objectif étant de délivrer les informations en temps réel directement dans la poche des skieurs, tout en les géolocalisant.
La dimension de gamification de l'application, qui est plébiscitée au quotidien par les jeunes générations, est une réelle réussite. Près de 60% de la communauté se prête au jeu.
Thomas Saison : En effet, nous souhaitons améliorer la connaissance client. Les Offices de tourisme de montagne ont très peu de data, c'est un fait.
Nous avons créé Yuge pour répondre à cette carence et mieux connaître la façon dont nos clients consomment le ski.
Nous avons de la chance. 92% de nos visiteurs sont des skieurs, donc nous avons une data assez propre, à la fois en BtoC mais aussi en BtoBtoC.
Ainsi, nous pouvons connaître les niveaux de ski, de consommation, l'appétence pour telle ou telle piste... A partir de là, nous pouvons établir des bilans de fréquentation des pistes et donc anticiper les travaux d'aménagement.
TourMaG.com - Quelles autres conclusions tirez-vous du traitement des données ?
Thomas Saison : Je peux vous confirmer que la Plagne est une station de grand niveau de ski. Nos clients skient en moyenne 5 heures par jour. Cette statistique est à contre-courant des études sur la pratique de l'activité, car nous ne constatons aucune érosion.
De plus, nous pouvons mieux qualifier les profils des clients. La tranche surreprésentée dans notre station est celle des 35-50 ans.
Dans le même temps, avec la mise en place de Yuge et des outils digitaux, nous voyons l'arrivée de profils millennials et alpha (génération après 2010, ndlr) aussi.
Nous rajeunissons notre clientèle. Nous attirons aussi des visiteurs axés sur la technologie. Ces derniers sont orientés sur le partage de leurs activités.
Nous avons dû nous adapter, en disposant des spots dédiés à Instagram partout dans le domaine skiable. De plus, nous avons inauguré le premier télésiège selfie.
Pour répondre aux besoins de cette clientèle, il est nécessaire d'améliorer la notion de partage social sur l'ensemble de la station.
Les visiteurs de La Plagne doivent se dire "quand je skie digital, j'ai plein d'avantages"
TourMaG.com - Les stations ne sont pas réputées pour être très novatrices dans les nouvelles technologies. Comment l'expliquez-vous ?
Thomas Saison : Ce qui est compliqué s'est d'agréger un ensemble d'intervenants et de commerçants qui ne sont pas tous digitaux. Prenez l'exemple de Skiset, si vous réservez du matériel sur Internet, il faut se rendre en magasin avec un bon ou un voucher.
La problématique est la même pour les ESF. Même si 80% des réservations se font en ligne, il faut obligatoirement passer dans une école pour regarder les cours disponibles. Nous voulons que les visiteurs de la Plagne se disent : quand je skie digital, j'ai plein d'avantages. Nous voulons renouveler le genre.
Nous essayons de faire converger un maximum d'informations dans un smartphone, que ce soit pour la pratique du ski, mais aussi l'après.
TourMaG.com - D'ailleurs, que proposez-vous pour l'après-ski ?
Thomas Saison : Dans le concierge de poche (appli Yuge, ndlr), nous proposons un guide de la station qui comprend l'ensemble des fiches des commerçants.
Suite à cette première phase, un algorithme a été conçu pour émettre du push d'informations, afin de mettre en avant des restaurants, bars... en relation avec les lieux fréquentés par le client.
Le parcours digital de notre visiteur est de 5 jours, et nous avons donc seulement ces quelques journées pour le convaincre qu'il n'a rien raté et vécu un séjour extraordinaire. Et l'un de nos indicateurs démontre que 28% des détendeurs de l'application sont revenus au moins une fois en 3 ans.
En ayant un CRM connecté dans Yuge, nous avons pu réactiver pas mal de clients, avec des offres early booking.
Nous avons, enfin créé une relation, entre les clients et les stations. Actuellement, l'unique moment de dialogue et donc de connexion réside par les photos postées par les réseaux sociaux.
C'est trop peu.
Avec Yuge, "nous avons enfin créé une relation entre les clients et les stations..."
TourMaG.com - Après la dématérialisation du paiement, la Compagnie des Alpes peut-elle intégrer la création d'une identité numérique et même la dématérialisation complète des réservations ?
Thomas Saison : Bien évidemment, nous pouvons aller plus loin, l'application digitale et le numéro de client unique peuvent être totalement dématérialisés.
La difficulté, pour créer un parcours sans couture, réside dans la digitalisation des commerçants et des hébergeurs.
Je sais que certaines marques sont ouvertes à cette question, mais d'autres n'ont pas encore de serrures digitales et ont encore des réceptions à l'ancienne.
Des métiers doivent évoluer pour arriver demain à récupérer dans un casier disponible 24h/24 des clés après avoir badgé un code-barre et y trouver aussi son matériel.
Nous avons déjà disrupté pas mal la partie ski, amusement, nous vendons aussi des activités, et bientôt cela peut devenir aussi une place de marché.
TourMaG.com - Vous disruptez aussi l'avant-ski avec le lancement de votre agence en ligne. Dans quel but ?
Thomas Saison : L'Office de tourisme de la station a créé l'une des premières centrales de réservation dans les Alpes et a réussi à dépasser les 5 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Sauf que depuis quelques années, le modèle périclite un peu, simplement parce que les gens n'ont plus le déclic d'aller sur le site de l'OT pour se renseigner sur l'hébergement, et les pure-players ont modifié la donne.
De plus, l'ombre des GAFA plane sur nous. Booking et Airbnb cherchent à prendre des parts de marché sur la montagne, mais pour le moment c'est assez compliqué pour eux.
Nous avons réfléchi à laisser mourir cette centrale. Sauf qu'une majorité de personnes réservent encore chez le producteur, donc pour s'appuyer sur cette clientèle, nous avons décidé de créer notre agence en ligne.
Nous packageons de l'offre à partir de tout ce que nous pouvons trouver sur le territoire.
"Nous devons aller vers une nouvelle forme de consommation de la montagne"
TourMaG.com - Quels sont vos objectifs avec cette plateforme ?
Thomas Saison : L'agence de voyages en ligne doit nous permettre de gagner en visibilité, en facilité à packager. Nous visons environ 80% de réservations en ligne contre 60% actuellement.
Nous nous sommes appuyés sur les 5 personnes qui géraient la centrale de réservations, et nous avons ajouté un outil techno provenant d'Orchestra.
L'objectif est aussi de nous défendre face aux géants du web qui vendent des dizaines de destinations alors que nous vendons une seule station.
Nous croyons pouvoir créer des packages sur le thème de La Plagne qui seront introuvables ailleurs. Nous allons pousser le concept jusqu'à la conciergerie avec des personnes dédiées à Plagne Resort.
Il y a des gros joueurs face à nous. Il est donc indispensable d'innover. Par le biais de notre site, nous voulons défendre aussi le business des agences immobilières pour ne pas voir débouler en force les Airbnb ou Booking.
TourMaG.com - Allez-vous vendre votre production aux réseaux de distribution ?
Thomas Saison : Nous souhaitons aussi être distribués et nous avons des contacts en cours pour cela. Quand nous arriverons à fabriquer des produits que les autres ne savent pas faire, nous ferons de l'exportation de notre production.
Quand un Carrefour, un Leclerc Voyages ou un cTrip en Chine cherchent à implémenter un onglet montagne, nous pourrons leur donner accès à notre flux en temps réel.
Il faut savoir que La Plagne est une station pilote et que tous ses outils pourront être exportés dans les stations qui sont en délégation de service public au sein de la Compagnie des Alpes.
Notre prochaine problématique sera celle des lits froids. Nous remettons au goût du jour ce que des acteurs comme maeva ont arrêté de faire.
Nous accompagnons financièrement et commercialement les initiatives qui veulent disrupter les hébergements à la papa comme Rockypop ou HO36.
Notre objectif est d'arrêter de louer des studios de 18m² pour 4 personnes pour aller vers une nouvelle forme de consommation de la montagne.
"Au niveau du CRM et comme partout dans le tourisme, le niveau est inexistant"
TourMaG.com - Vous venez du monde des TO (TUI, Kuoni). Avez-vous retrouvé les mêmes carences ?
Thomas Saison : J'ai trouvé les mêmes. Au niveau du CRM et comme partout dans le tourisme, le niveau est inexistant.
Vous savez, il y a une autre problématique qui est abordée à chaque réunion du Seto et qui n'a jamais connu une réelle évolution : celle de la communication avant, pendant et après le séjour, avec le client.
L'avantage en travaillant à La Plagne, c'est que nous sommes la première station de ski au monde en nombre de forfaits, en vendant 2,5 millions de journées de ski par an et avec 45 000 skieurs chaque jour.
Si nous voulons connaître l'utilité d'une innovation, il nous suffit de sortir du bureau, de la tester sur place et de collecter les réponses.
Alors que les TO sont dans l'intermédiation BtoB. Ils se demandent toujours ce que pensent les agences de la brochure, et les clients de l'agent de voyages. Ils ont du mal à avoir les doigts dans la prise pour bien savoir si leurs produits sont adaptés.
La guerre de la data dans le tourisme est toujours compliquée entre les distributeurs et les producteurs.
Il serait bien de faire des focus par groupe sur le client, en partageant des fichiers entre concurrents, avec des tiers de confiance. Ce serait une vraie révolution, pour mieux s'adapter aux clients.
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