Alpes : Les racines romaines communes des Aoste italienne et iséroise
- Arcs 1800
- 3 avr.
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De l'autre côté du Mont-Blanc, l'Italie fête ce mois-ci le 2050e anniversaire de la fondation de la capitale de la vallée d'Aoste. Une antique histoire qui n'est pas sans rapport avec la commune iséroise d'Aoste. Découvrez le riche passé commun de ces cités romaines homonymes, premiers "portiers des Alpes" de l'histoire.
"De nos jours, parler d'un pays qui envahit, conquiert et soumet l'un de ces voisins nous pose des problèmes moraux. En revanche, lorsque l'on parle de l'empire romain, cela nous semble parfaitement normal."
Sur la scène du Palais Saint-Vincent (Vallée d'Aoste), c'est en faisant référence au contexte international actuel que l'historien piémontais Alessandro Barbero a commencé son discours devant un parterre de près de 1 500 personnes - et bien davantage encore en streaming, devant leur écran d'ordinateur.
Toutes venues lancer les festivités pour le 2050e anniversaire de la fondation de la cité italienne d'Aoste. Ou plutôt Augusta Praetoria, comme les Romains l'ont baptisée à ses débuts. Nous sommes en 25 avant Jésus-Christ. Moins de 10 ans avant la création, de notre côté du Mont-Blanc, d'une autre Aoste, en Isère, nommée par son fondateur : Vicus Augustus.
Un empereur né Octave et devenu Auguste
"C'est bien le même empereur Auguste qui a fondé les deux villes. Je vous le confirme", précise volontiers aux visiteurs du musée gallo-romain d'Aoste (Isère), sa directrice, Lise Spaëth. "Il y en a eu beaucoup d'autres à prendre le titre d'Auguste après lui. D'ailleurs, ce n'était pas son prénom de naissance : il est né Octave".
Il s'en est donc fallu d'un rien que l'Augusta italienne ne se transforme en Octavia, et l'Augustus française en Octavius. Mais au-delà du nom, c'est bien la position géographique des deux cités qui semble avoir guidé les pas de leur fondateur commun.
Après avoir conquis les territoires des Salasses qui occupaient la très stratégique vallée d'Aoste vers la Gaule, Augusta Praetoria Salassorum a été fondée en tant que colonie de vétérans - d'anciens légionnaires ayant pour charge de développer la cité conquise.
En revanche, c'est à l'occasion d'un voyage en Gaule gallo-romaine, entre 13 et 16 avant Jésus-Christ, que l'empereur Auguste aurait décidé de fonder la cité iséroise de Vicus Augustus.
"Elle se situe en effet au carrefour de trois voies de communication", explique encore Lise Spaëth. "Celle partant de Rome par Aoste, en Italie, vers Lyon et Vienne, l'ancienne capitale des Allobroges. Mais aussi celle partant vers la Suisse, que ce soit par voie terrestre ou fluviale, grâce à la proximité du Rhône."
"Les Romains avaient en fait une peur bleue de s'engager dans les montagnes. Ils ont donc mis un bon bout de temps à comprendre que contrôler les points de passage dans les Alpes pouvait être une bonne idée", a expliqué l'historien Alessandro Barbero à nos confrères de la télévision italienne (TGR Rai Aosta). "Finalement, Auguste a décidé de conquérir et de fonder ces villes au prix de grandes violences pour y apporter, non pas la démocratie, mais la civilisation".
Capitale militaire pour l'une, artisanale pour l'autre
Dans les cités d'Aoste, de part et d'autre de la ligne des Alpes, une fois l'ordre gallo-romain imposé, les destins se séparent pourtant. Côté italien, Augusta Praetoria conserve son rôle de capitale acquis sous le règne des Salasses. Presque à parts égales avec sa puissante voisine, fondée elle aussi par le premier des Auguste : Augusta Taurinorum, plus connue de nos jours sous le nom de Turin.
"Elles furent le plus grand investissement d'Auguste", explique encore l'historien turinois. "Elles étaient peuplées de milliers de Romains transplantés dans ces régions du nord de la péninsule. Elles répondaient aux canons traditionnels des villes romaines. Toutes pareilles : disposant d'arènes pour les jeux, d'un théâtre, d'un hippodrome... Un modèle que l'on retrouve de l'Écosse à la Syrie, et dont Aoste est un exemplaire extraordinaire."
Point de jeux du cirque, à la même époque, dans notre Vicus Agustus iséroise. Ce qui n'en fait pas moins une ville active, et même un centre renommé aux quatre coins de l'empire romain.
"Les archéologues estiment qu'Aoste comptait alors entre 10 000 et 20 000 habitants", précise la directrice du musée gallo-romain. "C'était un grand centre de production de poterie, de mortier de cuisine surtout. On en a retrouvé des exemplaires, estampillés par des artisans potiers de la ville, en Angleterre et jusqu'en Afrique du Nord".
Une seule restera porte des Alpes
Malheureusement pour elle, Aoste l'iséroise ne verra pas sa renommée perdurer au-delà du Moyen Âge. Des accidents de l'histoire tels que la déviation du cours du Rhône, ou l'émergence de voisines comme Grenoble, lui feront perdre son statut de porte des Alpes.
Ses 3 000 habitants actuels peinent à donner une image juste de l'importance qu'elle a pu avoir dans l'antiquité. Son sous-sol, en revanche, abrite encore de nombreux témoignages de sa riche activité passée et continue d'être l'objet de fouilles pour alimenter, notamment, les vitrines de son musée gallo-romain.
"N'allez pas dire que l'activité de poterie est l'ancêtre de la production du jambon Aoste", explique dans un sourire Lise Spaëth. Une façon de souligner la vocation industrielle acquise par la ville depuis l'implantation de sa principale usine au siècle dernier. Et de rendre à César ce qui est trop souvent pris pour un produit italien.
Aoste l'Italienne, elle, conservera son rôle de "portier des Alpes", mais verra gonfler de façon exponentielle la taille de sa voisine turinoise de la plaine du fleuve Po. Important lieu de franchissement des Alpes au Moyen Âge, elle verra son influence de rétrécir lors de la mini-époque dite glaciaire des XVIIe et XVIIIe siècles.
"À cette époque, il faisait un froid polaire sur les Alpes. La ville d'Aoste s'est alors repliée sur elle-même, mise à l'écart des grands mouvements, car les grands cols n'étaient plus accessibles", explique Alessandro Barbero. "Ce n'est plus le cas aujourd'hui mais, à l'occasion d'anniversaires comme celui d'Aoste, il est toujours bon de rappeler que les montagnes sont depuis toujours un lieu de communication et de contact entre les hommes".
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