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  • Photo du rédacteurArcs 1800

Environnement : un sociologue sonne le glas du modèle des stations de moyenne montagne


Ce mode de développement de la moyenne montagne n’est écologiquement et économiquement plus soutenable, estime le sociologue Olivier Bessy, qui propose plusieurs solutions.


Si, hier, la mono industrie de la neige et du ski a sauvé les territoires de montagne frappés par l'exode rural et contribué à leur développement en privilégiant le modèle de la station, il semblerait que ce dernier soit aujourd'hui de plus en plus en difficulté face aux mutations environnementales, économiques et socioculturelles. C'est la fin de l'or blanc, et le temps est venu de penser autrement l'avenir de la moyenne montagne en hiver.


Malgré ce constat de plus en plus partagé – notamment lors des états généraux de la Transition touristique en montagne en 2021 –, la réponse majoritairement apportée par les acteurs en responsabilité s'inscrit le plus souvent dans une simple stratégie d'adaptation qui repose essentiellement sur un mythe et un contresens.


Penser que le solutionnisme technologique résoudra tous les problèmes relève d'une vision à court terme car elle fait fi des travaux scientifiques sur l'augmentation des températures en altitude liée au dérèglement climatique.


De plus, le coût économique des machines à neige, de plus en plus sophistiquées, est exorbitant et contribue à augmenter le déficit d'exploitation des stations. Il s'agit bien d'un mythe qui repose sur la rationalité technique de la station et la rentabilité économique de la neige, grâce à une perfusion permanente d'argent public.


Aléas climatiques et énergétiques

Cette façon de penser va également à l'encontre de la demande des clients, à la recherche de toujours plus de sensations, mais aussi de ressourcement et d'authenticité. Combien de temps encore ces derniers vont-ils trouver du sens à skier à des tarifs prohibitifs, sur des rubans blancs et étroits de neige verglacée au milieu d'une montagne pelée ?


De même, les fortes tensions actuelles sur l'eau et l'énergie ne nous encouragent-elles pas à faire preuve de davantage de sobriété ? Toute réponse qui retarde les transformations structurelles nécessaires est une impasse car les stations ne sont ni en apesanteur territoriale, ni étanches aux évolutions sociétales, ni étrangères aux enjeux écologiques. Deux pistes principales peuvent être envisagées.


Dans cette optique, il est crucial de sortir du modèle de la station qui polarise, en période hivernale et sur un périmètre limité, la très grande majorité des flux de visiteurs. De nombreuses productions scientifiques remettent en cause cette entité touristique unipolaire et trop endocentrée. Elles alertent aussi sur sa vulnérabilité grandissante face aux aléas climatiques, énergétiques et économiques actuels.


Hébergements innovants

Le temps est donc venu de ne plus envisager la station et les activités économiques qu'elle génère comme la seule et principale ressource, mais comme une parmi d'autres, faisant partie d'un territoire plus vaste.


Ce dernier est alors valorisé touristiquement comme une destination qui repose sur un positionnement en lien avec l'identité et le projet de territoire, mais aussi sur une déclinaison de l'offre proposée autour des pratiques récréatives de nature, du bien-être et du patrimoine, afin de mettre en désir les différents lieux.


Il s'agit donc de changer d'échelle en travaillant l'offre sur un périmètre élargi, en améliorant les liaisons entre les différents sites et en renforçant les projets à l'échelle valléenne, intervalléenne et transfrontalière.


En fait, l'objectif est de ne plus considérer la montagne comme un simple terrain de jeux structuré autour de la station mais comme une destination touristique comprenant de multiples portes d'entrée symbolisées par différents aménagements, des hébergements innovants et des animations attractives.


L'idée est d'imaginer la montagne l'hiver comme elle est pensée l'été, en multipliant les attracteurs et en facilitant des modes d'entrée diversifiés, afin de capter un nouveau public.


Tiers lieux et télétravail

L'objectif dans ce scénario prospectif est de diversifier les économies présentes sur le territoire en sortant de la monoculture du ski et du tourisme, et en privilégiant une montagne vivante – agriculture, pastoralisme, sylviculture…


Elle ne serait plus seulement visitée et consommée de temps en temps mais habitée en permanence, en pleine conscience et en responsabilité. Habiter les territoires de montagne est l'avenir mais cela n'est possible que si ces derniers entrent en résilience.


Nous entendons par là leur capacité à se transformer par le développement d'innovations territoriales favorisant une gouvernance partenariale au sein de l'écosystème d'acteurs et générant une vraie valeur ajoutée, motivant une nouvelle population à s'installer en montagne.


Le développement de la pluriactivité et de tous les services attendus en matière d'éducation, de soins et de loisirs, ainsi que la création de tiers lieux et la facilitation du télétravail, apparaissent comme des voies prometteuses à encourager. N'est-ce pas la meilleure façon d'envisager le futur et d'enrayer la baisse démographique et la déprise économique observables sur ces territoires ?


Un modèle qui dépeuple ces territoires ne paraît pas souhaitable et encore moins responsable. Mais pour éviter cela, il est nécessaire de transformer ces territoires en laboratoire de recherche et de créativité mobilisant des formes d'intelligence collective.


Réorienter les investissements

Il n'est jamais aisé de changer de modèle de référence, d'accepter la « destruction créatrice », provoquée par le développement d'innovations, et de composer avec des injonctions contradictoires. Tout changement de paradigme prend du temps et nécessite une bascule culturelle se heurtant à des représentations historiquement construites.


Cependant, les territoires de montagne sont confrontés à un défi économique, environnemental, culturel mais aussi et avant tout politique. Il devient urgent d'anticiper la fin du modèle de la station car, en 2030, il ne sera plus soutenable ni écologiquement, ni économiquement, ni culturellement.


Le passage de « stations en résistance » vers des « stations en résilience » s'impose manifestement afin d'envisager autrement l'avenir de la montagne et de tracer de nouveaux horizons en ayant bien à l'esprit que ce n'est plus la station qui fera, demain, le territoire, mais le territoire qui fera la station.


Aller vers une transition territoriale responsable s'accompagne inéluctablement de controverses et de conflits entre acteurs composant le système territorial qu'il faut arriver à dépasser. Ce n'est en rien une utopie, mais ce changement ne se décrète pas, il se programme politiquement et se construit en partageant, de manière plus efficace, une ingénierie de la transition et en réfléchissant sérieusement aux changements de pratiques, ainsi qu'aux reconversions et relocalisations nécessaires.


Les acteurs locaux en responsabilité ne peuvent plus ignorer les connaissances scientifiques sur la question et outrepasser la nécessité de créer une instance de concertation et de réflexion en mobilisant, autour d'experts, l'ensemble des acteurs concernés.


L'enjeu, au final, est de mieux éclairer les prises de décision, de faire les bons choix et de réorienter les investissements afin d'inventer un nouveau modèle de développement territorial. « Rien n'est plus fort qu'une idée dont l'heure est venue », écrivait Victor Hugo. En espérant que cette citation inspire les décideurs locaux.


*Olivier Bessy est sociologue du sport, des loisirs et du tourisme et professeur émérite au Collège sciences sociales et humanités de l'université de Pau. Chercheur au laboratoire Transition énergétique et environnementale (TREE, UMR/CNRS-6031), ses travaux portent sur la problématique de la transition et de l'innovation sociétale, sportive et touristique dans les territoires urbains et montagnards.

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