Qui dit vacances de février, dit, pour environ 13 % des Français, vacances au ski et marques de bronzage autour des yeux. Enfin disait. Avec le réchauffement climatique et l’inflation galopante, la pratique du ski alpin pendant les vacances d’hiver court le risque de ralentir peu à peu.
Conscient du danger, le secteur, qui revendique un chiffre d’affaires d’1,5 milliard d’euros par an, tente de s’adapter aux attentes des usagers en station et de développer des alternatives au tout ski.
Reportage sur les hauteurs de l’Alpe d’Huez (Isère), devenue une plaque tournante du ski pour les ambiances de fête et les grandes scènes musicales.
Clubbing, festival Tomorrowland, la station a su transformer son image pour attirer une nouvelle clientèle et faire rechausser aux jeunes leurs spatules.
En terrasse, les rayons du soleil chauffent les visages. 14h30, l’heure de la grand-messe a sonné. Les premières notes de saxophone résonnent comme un appel à entrer dans la danse et à venir rejoindre la fête. Perché sur un balcon, le DJ du jour passe derrière les platines, levant les bras pour inciter les vacanciers à monter sur les tables ou à délaisser leur chaise. L’ambiance monte d’un cran, tandis qu’à l’entrée, les skieurs se massent pour pénétrer sur le site. Les promeneurs, également. Bienvenue à la « Folie Douce », niché à 2.300 mètres d’altitude au cœur du domaine de l’Alpe d’Huez, en Isère.
La « Folie Douce » ? « On adooooore », lâche dans l’euphorie Stéphanie, 49 ans. Alors quand on lui demande ce qui l’anime autant, cette mère de famille énumère sans hésiter : « L’ambiance, la musique qui vous prend aux tripes. C’est magique, atypique, le cadre est extraordinaire. » « Il faut le voir ou le vivre pour comprendre », répondent d’emblée les adeptes. Plus qu’un habitué, Aldric, âgé de 18 ans, se définit en rigolant comme un « abonné ». Depuis, le début des vacances, le garçon observe quotidiennement le même rituel. Il skie jusqu’à 14 heures et rejoint son groupe de copains sur place pour manger et festoyer toute l’après-midi. « Il existe peu d’endroits comme ça pour danser en plein air. Et pas besoin de trop boire pour s’amuser car il y a vraiment de la bonne musique », argumente-t-il.
« Une façon de vivre les vacances différemment »
« C’est une façon de vivre les vacances différemment, de faire la fête autrement », complète Stéphanie venue spécialement de Saint-Etienne. Fidèle à la station « depuis 40 ans », la mère de famille savoure la musique, bougeant sur sa chaise au rythme de l’électro. « On a un peu l’impression de faire partie de la jet-set, rigole-t-elle. A Paris, les gens vivent plein de choses, un peu exceptionnelles, qui ne sont pas données à tout le monde. Des choses qui ne sont pas accessibles à ceux qui vivent dans les petites villes. »
« Les choses sont très différentes d’une discothèque. Ici, nous sommes sur du clubbing extérieur avec des artistes, qu’ils soient chanteur, DJ, saxophoniste, guitariste », précise Magaly Blanc, la directrice de l’établissement. Lorsqu’elle a découvert le concept dans la station de Val-d’Isère, elle a eu une révélation : « C’était l’hallu, je me suis demandé où j’étais tombée. C’était vraiment génial ». Tellement surprenant et inédit qu’elle décide de se lancer dans le projet et d’ouvrir une antenne à l'Alpe d’Huez. Depuis 9 ans, elle ne chôme pas. « 15.000 pas en moyenne chaque jour » pour s’assurer que tout fonctionne, guetter le moindre débordement, accueillir les 2.000 à 3.000 clients. Le mot d’ordre : que tout soit clean pour ne pas gâcher la fête.
L' « à côté ski » de plus en plus recherché
« Aujourd’hui, qu’il neige, pleuve ou fasse beau, les gens sont là. La météo ne change rien », observe-t-elle. Le manque de neige, également. « Le concept a bien pris dans une dizaine de grosses stations françaises. Le ski à lui seul n’est plus suffisant, les gens viennent chercher un " à côté ski " », analyse François Badjily le directeur de l’Office de tourisme. La preuve ? « Le samedi, un tiers des clients n’ont pas de chaussures de ski au pied. » Le concept a eu le mérite d' « amener une nouvelle clientèle », de « booster les restaurants d’altitude » obligés d’améliorer leurs cartes pour rivaliser et de « créer une émulation » dans toute la station. Mais aussi de « changer l’image de la marque ».
Toutefois, l’événement qui a su faire redécoller l’Alpe d’Huez reste incontestablement la venue très attendue du festival de musiques électroniques « Tomorrowland Winter », dont la première édition s’est tenue en 2019. « Le coup du siècle », résume François Badjily. « On cherchait un événement qui ne se déroule pas en été et qui ne soit pas sportif », explique-t-il. Un rendez-vous susceptible de remplir la station en fin de saison, de « rajeunir la clientèle » et d’attirer les touristes étrangers car jusque-là, la station nourrissait un petit complexe par rapport à ses voisines.
« Clairement, l’objectif était de créer un attrait en touchant les jeunes pour qu’ils viennent assurer l’avenir la pratique du ski », explique Anthony Guzman, directeur marketing à la Sata (société des remontées mécaniques). L’homme, qui ambitionnait de « replacer l’Alpe d’Huez sur la carte du monde », a eu du flair. Trois années de négociations et de préparation ont été nécessaires afin que le festival - pour lequel la station est entièrement privatisée - pose ses valises en Isère. Mais le résultat a été « au-delà des espérances ». 26.000 festivaliers enregistrés lors de la première édition, 18.000 lors de la seconde en 2022 (en raison d’une jauge contrainte après deux années de covid) et 22.000 prévus pour cette année, du 18 au 25 mars. La moyenne d’âge des participants : 32 ans.
Le ski, l’indétrônable « un atout majeur »
« Nous avons le même taux de remplissage qu’au cours d’une semaine de vacances scolaires en février », révèle François Badjily. Pas la peine de chercher un lit. La station est pleine à craquer, alors que 18.000 personnes sont inscrites sur liste d’attente. « Mais à la différence de février, cette fois, les sommes dépensées sont bien plus élevées », précise le directeur de l’Office du tourisme. 1.000 euros en moyenne par participant. Des Français, des Britanniques, des Américains, des Belges, des Chinois, des jeunes actifs venus du monde entier… Les tour-opérateurs, qui boudaient jusque-là la station iséroise, font désormais la queue pour s’attirer ses faveurs.
L’événement a clairement profité à « l’ensemble de l’écosystème », observe Anthony Guzman. L’effet a été indéniable sur le marché de l’immobilier. Les ventes sont reparties à la hausse. Les cours de glisse affichent complets en fin de saison. Les restaurateurs font chaque jour le « même chiffre qu’un soir de 31 décembre ». Mais « on ne pourra pas remplacer le ski » qui reste malgré tout « l’atout majeur des festivaliers », tranche François Badjily. « Plus de 80 % d’entre eux ont opté pour un pass ski… Et ils skient (en moyenne 4 heures par jour), relève Anthony Guzman. Dans les enquêtes de satisfaction, la plupart répondent que la discipline reste le point d’orgue du séjour. »
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