Arcs 1800
Changement climatique : Transition ou transhumance des stations de montagne

En réduisant l’enneigement naturel et en bouleversant les saisons, le changement climatique menace le tourisme du ski alpin. Les stations de basse et moyenne altitudes sont les plus directement affectées et doivent donc élaborer des stratégies pour s’adapter. Les maires cherchent à préserver l’attrait du ski alpin, tout en anticipant des futurs sans neige.
« Agir par petites touches en posant des pansements, ou inventer l’avenir ? » Spécialiste des mutations touristiques, l’universitaire Vincent Vlès résume ainsi le débat opposant élus et opérateurs de stations de ski aux acteurs associatifs sur la réponse à apporter aux effets du changement climatique : un enneigement incertain et des saisons perturbées. Les premiers n’entendent pas remettre en cause la primauté du ski alpin ; les seconds réclament un nouveau modèle de développement. En toile de fond de ces divergences, une appréciation différente de l’ampleur des défis à relever et de leur temporalité. Par conséquent, des recettes à appliquer.
Tourisme des quatre saisons
Les échanges peuvent être vifs, et le sujet « n’est pas aisé à poser en toute sérénité tant le ski joue un rôle important dans le développement économique des territoires de montagne », constatent les sénateurs Ronan Dantec et Jean-Yves Roux dans un rapport de mai 2019 sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050. Le maire de Valloire (1 100 hab., Savoie), Jean-Pierre Rougeaux, par ailleurs secrétaire national de l’ANMSM, défend une évolution à deux niveaux. D’une part, agrandir le domaine skiable quand cela est possible, sécuriser les pistes par la production de neige de culture et améliorer l’offre d’hébergement – sa volonté d’accueillir un Club Med en est une traduction. D’autre part, engager une diversification progressive vers un tourisme dit « des quatre saisons » ».
Cette stratégie suscite la colère de l’ex-maire (2008-2014) de la commune voisine de Valmeinier (500 hab.), Martine Noraz, qui milite au sein de VAM : « Les stations sont engagées dans une course à l’échalote conduisant à vouloir aller toujours plus haut, plus loin et plus fort, à construire des lits pour amortir les remontées et des remontées pour amortir les lits. » « On continue dans les vieux schémas », renchérit la présidente de VAM, Annie Collombet. Elle critique les projets d’extension et de liaison entre stations, revenant à « aller abîmer plus haut ». Surtout, elle appelle les élus locaux à « changer de logiciel », à travailler dès maintenant sur l’après-neige, à renoncer à prospecter les clients « à l’autre bout de la planète, ce qui accentue le problème climatique », à viser une clientèle « plus modeste », à proposer un tourisme « doux ».
Aux accusations de « fuite en avant » brandies par les organisations écologistes, le président du département du Cantal, Bruno Faure, à la tête de la société anonyme d’économie mixte chargée de l’exploitation de la station du Lioran, dans le parc naturel régional des volcans d’Auvergne, répond « principe de réalité ». « Le ski est une industrie très capitalistique, détaille-t-il. Pour rembourser l’endettement résultant de mes investissements en remontées mécaniques, téléphériques et dameuses, j’ai besoin de trésorerie, donc de vacanciers, donc de neige. » Un « cercle vicieux », s’insurgent les associations.
Données scientifiques
« Le virage est compliqué à opérer, reconnaît le maire de Gérardmer (8 000 hab., Vosges), Stessy Speissmann, vice-président de l’ANMSM. On ne peut pas effacer d’un trait notre produit phare. » « Rome ne s’est pas faite en un jour », fait valoir le député de sa circonscription, Christophe Naegelen. « Le changement de logiciel, on le met en place dans la mesure de nos moyens, petit à petit, en développant les activités estivales et en diversifiant le tourisme hivernal », assure-t-il. Une stratégie visant aussi à séduire des jeunes qui désertent la seule pratique du ski, en raison du coût et d’une appétence pour des moments plus festifs. Une tendance en vogue rejetée par Jean-Pierre Rougeaux, qui « n’a pas envie de voir [son] village devenir un Luna Park ou un Disneyland ».
Aux élus locaux, Vincent Vlès lance un appel : « Vous êtes confrontés à l’inéluctable, alors faites attention à ne pas trop investir dans des équipements liés au ski alpin. » Il donne l’exemple, « symbolique et symptomatique », de la station de Puigmal (Pyrénées-Orientales), contrainte par le préfet de fermer en 2013 alors qu’elle venait de renouveler ses installations, faute de pouvoir rembourser ses emprunts. Ce « cas de figure menace beaucoup de stations de moyenne montagne », prédit-il. Sept ans plus tard, Puigmal tente de renaître, sur un modèle quatre saisons, mêlant randonnées pédestre et à ski, trail, VTT…
Le département de l’Isère propose aux 23 communes de son territoire concernées par le sujet de les accompagner dans une stratégie « à court, moyen et long termes, sur la neige de culture, leur diversification et la station de demain », expose sa vice-présidente, Chantal Carlioz. Il met à leur disposition des données scientifiques, notamment collectées par le Centre d’études de la neige de Météo France, pour les aider à prioriser leurs investissements. L’idée est aussi de les encourager à devenir « vertueuses » dans leur développement, précise-t-elle. Dans le même esprit, la région Paca a lancé une étude, dont les résultats sont attendus en juillet 2021, sur le devenir de ses 31 domaines skiables. Elle doit, là encore, servir d’outil d’aide à la décision, tant pour les élus locaux que la région dans ses critères d’attribution de subventions. Le Jura songe à une démarche similaire.
Ecologie et bien-être
Dans l’attentisme de maires de montagne, Vincent Vlès lit les travers d’une monoactivité saisonnière, d’un « système politique et économique fortement dépendant de l’or blanc ». Chercheuse en aménagement touristique, notamment des stations de sports d’hiver, Emmanuelle George, qui a participé au travail mené en Isère, pense qu’il faudrait « plusieurs hivers difficiles d’affilée pour que les élus prennent conscience de la fragilité du modèle ».
Maire des Gets (1 200 hab., Haute-Savoie) pendant un mandat (2001-2008), « pas en capacité de se représenter » après avoir, en particulier, mis un frein à la délivrance de permis de construire, membre de l’ONG Cipra, Alain Boulogne déplore une « négation du changement climatique en Savoie ». Candidat aux dernières élections municipales à Autrans-Méaudre (3 000 hab., Isère), Marc Mossalgue regrette pour sa part une « union sacrée autour de la neige, qui interdit de questionner sa place dans l’équation touristique ». « Pendant la campagne, la communauté du ski a fait passer un grand oral aux prétendants, c’était le critère sur lequel elle allait voter », illustre-t-il.
« Etre maire est compliqué, être maire de station l’est encore plus », confie Chantal Carlioz, qui l’a éprouvé pendant douze ans, jusqu’en mars 2020, à Villard-de-Lans (4 200 hab., Isère). « L’équilibre est, plaide-t-elle, difficile à trouver entre le présent, ses emplois à préserver, et le futur. » Elle envisage l’avenir du tourisme de montagne sous le signe d’une « alliance de l’écologie et du bien-être », qu’elle qualifie de « climatisme du XXIe siècle ». « La crise sanitaire en renforce la pertinence », estime-t-elle. « La période confirme la nécessité de penser résilience du territoire », approuve Marc Mossalgue. L’un et l’autre divergent toutefois sur le rythme à donner à la transition. Le changement climatique se chargera peut-être de trancher.
FOCUS
Lionel Laslaz, maître de conférences en géographie à l’université Savoie Mont-Blanc
« Le modèle des années 80, centré sur le ski alpin, demeure indépassable chez les élus de la montagne. C’est lui qui génère l’essentiel des retombées économiques et de l’emploi dans les vallées. Si l’on observe une prise de conscience croissante des risques que le changement climatique fait peser sur le tourisme du ski et de la nécessité de se diversifier, le temps politique prend le pas sur le temps de la prospective. Cela dit, les élus mettent en œuvre un projet sur lequel ils ont été élus. Ils sont ainsi le reflet des aspirations d’une société. Si celle-ci intègre les fragilités du modèle, ils suivront. »
FOCUS
Didier Thévenet, maire de La Clusaz (1 700 hab., Haute-Savoie)
« Dès mon entrée en fonction, j’ai informé le Club Med de mon refus d’autoriser son implantation, un projet de l’équipe précédente. Nous n’accepterons plus de grandes opérations immobilières de ce type.
Le plan local d’urbanisme permet, en revanche, des constructions de plus petite dimension. Le nouveau schéma de développement de La Clusaz, que nous présenterons fin janvier, visera à maintenir une population locale, en aidant les jeunes à se loger, ce que la pression foncière ne leur permet plus, et à encourager le tourisme quatre saisons. Nous ne tournons surtout pas le dos au ski, qui a de belles années devant lui, mais nous préparons l’avenir. Nous devrons, pour cela, agrandir notre réseau de neige de culture. Mais nous n’installerons par exemple pas le nouveau télésiège que nos prédécesseurs envisageaient de mettre en place sur un site vierge. »