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  • Photo du rédacteurArcs 1800

Chamonix sans le ski



La crise du Covid et la fermeture des remontées mécaniques ont un impact dévastateur sur la vallée de Chamonix. Une crise qui intervient alors que la ville doit déjà faire face au double défi du surtourisme et du réchauffement climatique.


Pour les fêtes de Noël, Chamonix s'est drapée dans un joli manteau neigeux. Mais ce sont les volets fermés qui frappent le plus. La vallée compte 70 hôtels, mais 60 % d'entre eux ont choisi de rester fermés, selon l'office de tourisme. Les autres ont dû se réorganiser pour pallier l'absence de restaurants. Au Hameau Albert Ier, les clients bénéficient d'une deuxième chambre réaménagée en salle à manger. Au Mercure Chamonix, de petites tables ont été installées dans les chambres. « Les réservations se font à la dernière minute. Sur la période allant du 24 décembre au 1ier janvier, le Mercure avait un taux d'occupation de 30 % le 11 décembre et de 60% le 16 décembre », explique Sabine Somborn, directrice des ventes de Best Mont-Blanc. Le groupe, qui possède cinq établissements à Chamonix, ouvrira un deuxième hôtel du 30 décembre au 3 janvier. Trois autres resteront fermés.


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Ouvrir est compliqué. Il faut un taux d'occupation d'au moins 40 % pour rentabiliser un hôtel. Qui plus est, Chamonix occupe d'ordinaire 46 % de ses nuitées d'hiver grâce à une clientèle étrangère, en premier lieu britannique, suédoise et enfin suisse.


« Nous, on a fait le choix de ne pas ouvrir. La restauration et les bars, c'est le poumon d'une station. Quel client a envie de dîner dans sa chambre pour Noël ? », dit Domitille Ernst, directrice de l'Excelsior, un hôtel qui rouvre le 22 janvier. « Certains jugent plus logique de rester fermés sur un plan financier. D'autres, comme nous, pensent qu'il faut conserver le lien avec les clients », explique Perrine Maillet-Carrier, DG et propriétaire du Hameau Albert Ier.


Un impact dévastateur

L'arrêt des remontées mécaniques jusqu'au 7 janvier est dévastateur pour la ville. Chargée des équipements, la Compagnie du Mont-Blanc comptera environ 700 personnes en chômage partiel durant les fêtes. Surtout, la période de Noël représente au moins 20 % de l'activité annuelle de nombreux professionnels. L'Ecole du ski français (ESF) emploie 280 moniteurs à Chamonix, dont 160 pour lesquels c'est l'activité principale . « Les moniteurs me demandent tous les jours des informations. On est dans le stress le plus absolu », explique Sébastien Gicquel, le directeur de l'ESF de Chamonix. Les restaurateurs sont très fragilisés. « Au premier confinement, j'étais en panique. Je me demandais si j'allais perdre mon rêve, explique David Lillieroth, un jeune Suédois qui a ouvert le restaurant Mumma il y a un an. Le plus dur, c'est qu'on ne peut jamais respirer. On est toujours inquiet. »


« On se sent infantilisé »

« Ici, c'est la double peine. Nous sommes à la fois restaurateurs et stations de montagne », dit Iouri Becq, propriétaire du restaurant Canailles. Même frustration pour la vingtaine de bars de nuit et les deux discothèques. « On se sent infantilisé. On applique les protocoles sanitaires, mais l'Etat ne nous fait pas confiance alors même que l'occupation des chalets explose avec des gens qui font la fête sans encadrement », dit Juliette Martinez, directrice du bar de nuit Barberousse et propriétaire d'une discothèque de la vallée.


On applique les protocoles sanitaires, mais l'Etat ne nous fait pas confiance alors même que l'occupation des chalets explose avec des gens qui font la fête sans encadrement.


Juliette Martinez, directrice du bar de nuit Barberousse

Les magasins de sport sont aussi dans une situation difficile. Sanglard Sports, qui détient plusieurs magasins dans la vallée, prévoit une baisse de son chiffre d'affaires hors taxes de 35 % cette année (3 millions d'euros en 2019). « Je fais partie des sociétés qui avaient une bonne trésorerie. Avec la crise, celle-ci baisse rapidement et je vois le travail de vingt-quatre années partir en fumée, explique Dominique Chomarat, le propriétaire. C'est terrible de dire à un saisonnier qui travaille chez vous depuis dix ans qu'on n'a pas de travail à lui donner. On ne se rend pas compte de la misère sociale qui est en train de naître à cause du Covid. »


Le paradoxe social de Chamonix

La crise met en lumière le paradoxe social de Chamonix. Visitée par les naturalistes européens et l'aristocratie britannique dès les XVIIIe et XIXe siècles, la ville bénéficie d'une image haut de gamme, associée au mont Blanc. De riches familles françaises comme les Peugeot ou les Riboud-Seydoux ont leurs habitudes dans la vallée. Des pilotes de British Airways, des traders venus de Genève y ont acheté des chalets, ainsi que de nombreuses personnalités, d'Edouard Balladur à l'acteur Orlando Bloom.


Mais à côté de ces résidents aisés se cache une population de plongeurs, de serveurs ou de moniteurs issus de la région. « Environ 65 % de la population de Chamonix est éligible aux logements sociaux », explique Eric Fournier, le maire centriste. La ville (9.034 habitants) compte une majorité de travailleurs indépendants, très exposés à la conjoncture.


Comment les gens ont-ils réagi à la fermeture des remontées mécaniques jusqu'au 7 janvier ?« Il y a ceux qui deviennent tout rouges et qu'il faut coucher dans la neige pour les calmer quand ils entendent le nom''Macron'' et il y a ceux qui se disent que c'est peut-être le moyen de préserver février », dit Régis Martinez, le patron de l'école de ski Evolution2.


L'idée du village de vacances

L'année 2020 avait pourtant bien commencé, avec des mois de janvier et de février record. Le premier confinement a brisé cet élan, entraînant la perte de 2 millions de nuitées de mars à mi-juin dans la vallée, soit 27 % du total annuel. Pour pallier l'absence des étrangers l'été, l'office de tourisme a eu l'idée d'appliquer un modèle « village de vacances » à la vallée, en proposant aux touristes un panel d'activités gratuites. « Nous avons acheté pour 250.000 euros de prestations, ce qui a permis d'amener une nouvelle clientèle tout en garantissant du chiffre d'affaires aux entreprises. Cela a eu un gros succès », explique Nicolas Durochat, le directeur de l'office de tourisme de la vallée de Chamonix-Mont-Blanc.


Du fait de l'annulation de l'Ultra-Trail du Mont-Blanc, normalement organisé fin août, le nombre de nuitées a été inférieur à celui d'un été normal. En revanche, la ville a été prise d'assaut par des touristes français… très pénibles. « Le Français est un client compliqué et râleur, qui manque beaucoup d'humilité », juge un habitant de Chamonix. Les parkings ont vite été saturés et la régulation des files d'attente pour monter à l'aiguille du Midi très éprouvante. « La clientèle étrangère a toujours été plus sympa. Mais là, les Français ont vraiment été exécrables », soupire un professionnel.


Des gens qui se battaient pour une table

La crise du Covid a paradoxalement accentué les difficultés d'une ville déjà confrontée au tourisme de masse. En période de forte affluence, « les embouteillages, la saturation des bus (impossibles à prendre avec des enfants), la mauvaise organisation et la saturation de tous les parkings au pied des remontées mécaniques sans offre de transport alternatif adaptée lors des semaines de pointe sont sources d'insatisfaction, voire de colère, et nuisent à l'image de la station », constatait sobrement le Groupement national des indépendants de l'hôtellerie et de la restauration de Chamonix dans un livre blanc rédigé voici un an, en amont des élections municipales.


La crise du Covid a paradoxalement accentué les difficultés d'une ville déjà confrontée au tourisme de masse.


« Durant la campagne, des restaurateurs m'ont dit qu'en février dernier ils avaient dû gérer des gens qui se battaient pour avoir une table. Aujourd'hui, nous sommes sur la même pente que Venise, si nous ne régulons pas. Deux touristes sur trois ne reviennent pas. Ils disent :''J'ai fait Chamonix'', alors que nous bénéficions de nombreux sites exceptionnels », estime François-Xavier Laffin, conseiller municipal d'opposition étiqueté écologiste.


Consciente du problème, la municipalité veut décourager la venue des excursionnistes à la journée et met en avant ses efforts pour réduire le trafic automobile. « Durant les pics saisonniers, nous avons des bus gratuits toutes les dix minutes et un train toutes les demi-heures pour les gens hébergés dans la vallée », souligne Eric Fournier.


Mondialement connu, le mont Blanc est une vache à lait pour Chamonix. Mais cette dépendance au tourisme s'avère compliquée à gérer parce que Chamonix est une ville et non une station. Dans une station comme La Plagne, tous les intérêts sont alignés. A Chamonix, les excursionnistes d'un jour bénéficient à la Compagnie du Mont-Blanc et aux commerçants du centre-ville mais irritent les résidents.


Les faibles revenus doivent partir

A ce défi s'en ajoute un deuxième : l'immobilier. La ville est composée pour deux-tiers de résidences secondaires. Et en vingt ans, les prix sont passés de 6.000 à 10.000 euros le mètre carré dans le centre-ville. Cette envolée a enrichi les propriétaires fonciers, dopé la location de meublés et poussé les faibles revenus à s'installer plus bas dans la vallée. Face à l'ampleur du problème, la municipalité va imposer 50 % de logements permanents sur tous les nouveaux programmes. « Il y a une forte pression immobilière à Chamonix et je revendique un droit à l'expérimentation afin de rééquilibrer la répartition entre résidence permanente et secondaire », dit Eric Fournier.


Ce foncier hors de prix pèse aussi sur le logement des saisonniers par les entreprises. « Dans le centre de Chamonix, il faut compter de 700 à 1.000 euros par mois hors charges pour un studio de 20-25 mètres carrés, explique Margaux Gravier-Montel, propriétaire de restaurants à Chamonix, Saint-Gervais et l'Alpe d'Huez. Dans nos professions, le montant total des loyers et charges des saisonniers représentent de 4 à 6 % du chiffre d'affaires selon les stations. »


L'impact du Brexit

Le Brexit pourrait encore compliquer la donne. « Si les saisonniers britanniques ne peuvent plus travailler aussi facilement en France, il n'y aura plus les services qui font que les touristes se sentent aussi bien ici qu'en Angleterre », analyse Martin Devictor, fondateur du groupe hôtelier Mont-Blanc Collection. De quoi freiner la commercialisation des voyages de groupes et fragiliser un peu plus des tour-opérateurs britanniques en perte de vitesse. Si les touristes britanniques sont bien perçus, les résidents qui ne parlent pas français suscitent plus de crispation, du fait de leur impact sur le foncier. Les Suédois sont mieux intégrés.


En plus de son paradoxe social, Chamonix possède aussi un paradoxe culturel. Alors qu'elle abrite 40 nationalités, la ville a une culture de clocher. En témoigne la vieille rivalité entre habitants de Saint-Gervais et de Chamonix. « Après vingt-cinq ans à Chamonix, je peux m'entendre dire que je ne comprends pas bien les choses parce que je viens du bas de la vallée », explique François-Xavier Laffin.


« Le réchauffement climatique c'est aussi du stress »

Le dernier défi sera climatique. Les parties montagneuses se réchauffent plus vite qu'en plaine. « Il y a vingt ans, on devait mettre une polaire pour un barbecue les soirs d'été. Maintenant en tee-shirt, vous êtes bien », raconte David Ravanel, guide de haute montagne. Dans les années 1990, il pouvait y avoir suffisamment de neige pour revenir des pistes en ville sans prendre de télécabine. Le réchauffement climatique a décalé les saisons et augmenté les chutes de pierres l'été. « Il n'y a plus de morte-saison entre l'hiver et l'été pour les guides », dit Olivier Greber, le président de la Compagnie des guides de Chamonix. La Compagnie du Mont-Blanc doit gérer l'impact de la fonte du permafrost sur l'ancrage des pylônes.


« Le réchauffement climatique, c'est de l'argent. Nous dépensons 1,5 million d'euros par an pour faire du confortement. Et c'est aussi du stress. Les vents très forts en altitude sont plus fréquents. Nous avons en permanence deux gardiens au sommet de l'aiguille du Midi. Ils doivent parfois attendre quatre jours avant de pouvoir redescendre », explique Mathieu Dechavanne, le patron de la Compagnie du Mont-Blanc.


Crise du Covid, surtourisme, Brexit et réchauffement climatique… La ville ne manque de raisons de faire appel à saint Bernard, le patron des montagnards.

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