Arcs 1800
Canada : un nouveau défi viral malsain chez les jeunes skieurs

Un nouveau défi sportif qui fait boule de neige sur les réseaux sociaux préoccupe grandement des intervenants du monde du ski et des experts consultés par Radio-Canada.
Populaire chez les jeunes – et ce, tant au Canada qu'à l'étranger –, le défi consiste à boire une minibouteille de spiritueux, la plupart du temps sur les télésièges des stations de ski, avant de dévaler les pentes. Les participants sont invités à se filmer et à relayer le tout sur des applications telles que TikTok et Instagram, où certaines vidéos cumulent plus de deux millions de mentions J’aime.
C’est la première fois que je vois ça sur le web. Ce n’est juste pas une bonne idée, estime Alexis Guimond, médaillé de bronze aux Jeux paralympiques d’hiver de Pyeongchang, en 2018.
Le skieur para-alpin originaire de l'Outaouais n'était pas d’humeur à rire lorsqu’il est tombé pour la première fois sur ces vidéos sur son fil d’actualité TikTok. Selon l’athlète dans la vingtaine, ce défi ternit non seulement l’image des sports de glisse, mais aussi celle de tous les skieurs.
Au départ, j’ai pensé que ce n’était vraiment pas nécessaire. [...] Lorsqu’on fait du ski, c’est très important d’être dans un bon état mental. Donc, être sous l’influence de différentes substances, ce n’est pas vraiment une bonne idée, a-t-il expliqué en entrevue avec Radio-Canada alors qu’il participait à un camp d’entraînement en Colombie-Britannique.
Je pense que l’intention du défi n’est pas mauvaise, mais il faut respecter le Code de conduite en montagne. [...] Il est là pour une raison : notre sécurité et celle de tous les skieurs.
Alexis Guimond, skieur para-alpin
Alcool et ski ne font pas bon ménage
Informé de l’existence du défi par Radio-Canada, le directeur général de l’organisme Éduc’alcool, Hubert Sacy, s’est dit hautement préoccupé par cette pratique.
J’espère que ça ne va pas prendre des morts pour que ça arrête, parce que c’est malheureusement trop souvent le cas.
Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’alcool
Formellement interdite en vertu du Code de conduite en montagne, la consommation d’alcool sur les pentes est extrêmement dangereuse, car ce type d’activité sportive nécessite une concentration maximale, rappelle M. Sacy. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle la consommation d’alcool "l’après-ski" : ce n’est pas le "pendant-ski" et ce n’est pas "l’avant-ski"! s’exclame-t-il.
Éduc’alcool a produit en 2016 un document d’une dizaine de pages portant sur l’alcool et l’activité physique. La publication souligne que l’alcool a un impact évident sur la fonction métabolique, la fonction de thermorégulation ainsi que sur les habiletés psychomotrices lors de la pratique d’une activité physique telle que le ski alpin ou la planche à neige.
Hubert Sacy croit que les propriétaires ou gérants des stations de ski ont certainement une responsabilité à prendre dans ce dossier. Il leur suggère, par exemple, de faire des contrôles aléatoires sur les pentes.
Alexis Guimond est lui aussi persuadé que les stations pourraient agir, en s’adressant directement aux contrevenants sur les médias sociaux. La plupart du temps, les personnes qui font ce défi géolocalisent le centre de ski dans leurs publications, mentionne-t-il.
Les patrouilleurs ne veulent pas jouer à la police
L’Association des stations de ski du Québec (ASSQ), qui regroupe l’ensemble des stations de la province lance un appel à la responsabilité.
Il faut que les gens qui participent [à ce défi] comprennent que s'il y a une collision avec un autre skieur et que la personne est blessée, ils pourraient être poursuivis et, potentiellement, payer des dommages et intérêts, prévient le président-directeur général de l'ASSQ, Yves Juneau, en entrevue à Radio-Canada.
Les stations de ski, poursuit-il, mènent actuellement une campagne de promotion du Code de conduite en montagne sur TikTok.
De son côté, bien qu’il soit d’avis que cette pratique est inacceptable, Richard Eaton, membre du conseil d’administration de la division Québec de la Patrouille canadienne de ski, estime qu’il serait difficile d’effectuer des contrôles aléatoires sur les pentes. Les patrouilleurs, qui sont des bénévoles, n’ont pas envie de jouer à la police, dit-il.
M. Eaton explique que la longueur et l’épaisseur des manteaux d'hiver permettent aux fautifs de bien dissimuler les minibouteilles d’alcool, ce qui rend la fouille beaucoup plus difficile. Il rappelle cependant que les contrevenants au Code de conduite en montagne s’exposent à différentes sanctions, dont le retrait de leur billet pour la journée ou l’annulation de leur abonnement de saison.
Toutefois, M. Juneau reconnaît qu'il n'est pas toujours facile de faire appliquer les règles.
On n'est pas en mesure de vérifier chaque personne qui se présente sur les pistes. [...] On va souvent les voir ensuite sur les vidéos publiées, et non sur le fait. [...] Mais évidemment, lorsqu'on peut voir sur les pistes des gens en état d'ébriété, on va intervenir et leur demander de cesser la pratique du ski, parce qu'il y a un risque trop élevé.
Un défi qui évoque de mauvais souvenirs
Pour le Gatinois Charles-Antoine Beaulieu, créateur de contenu pour l’agence de marketing numérique Made in, il n’est pas étonnant de voir un tel défi apparaître en pleine pandémie de COVID-19.
Le seul truc qu’il nous reste [au Canada], c’est le sport d’hiver. [...] On voit apparaître cette idée de consommer de l’alcool aux endroits où l’on peut encore se rassembler.
Charles-Antoine Beaulieu, créateur de contenu pour l’agence de marketing numérique Made in
Ce défi lui rappelle de très mauvais souvenirs. Il cite d’autres phénomènes en exemples, tels que le Neknomination, le Cinnamon Challenge et le Tide Pod Challenge, qui sont rapidement devenus viraux sur les réseaux sociaux il y a quelques années. Ces défis ont mené à de nombreuses hospitalisations et parfois même à des décès.
Dans le cas du défi actuel sur les pentes de ski, M. Beaulieu croit que tous les éléments sont réunis pour qu’il se propage à une vitesse affolante. On travaille avec de petites bouteilles d’alcool faciles à cacher. [...] On facilite ainsi la tâche du bouche-à-oreille, dit-il.
Lorsqu’on donne une solution efficace et qui ne demande aucune organisation, là est la puissance des réseaux sociaux : cette capacité de reproduire un modèle avec beaucoup de facilité.
Charles-Antoine Beaulieu, créateur de contenu pour l’agence de marketing numérique Made in
Selon lui, ce genre de défi est aussi difficile à contrôler qu’à prévenir. Il s’inquiète également du fait que les participants se filment à visage découvert.
Cela pourrait miner leur réputation auprès d’un futur employeur qui aurait tendance à vérifier les profils TikTok ou Instagram des candidats pour un poste à pourvoir. Ce sont deux plateformes très alléchantes pour comprendre la vie privée et sociale de quelqu’un, prévient-il.
Le directeur général d’Éduc’alcool, Hubert Sacy, est d’avis que les dirigeants des réseaux sociaux ont aussi un rôle à jouer pour enrayer la propagation de ce défi viral. S’ils ont censuré un ancien président des États-Unis [Donald Trump], ils peuvent certainement faire de même avec ces petits crétins qui mettent leur vie en danger et celles des autres, a-t-il affirmé.
Interpellé par Radio-Canada, Facebook, propriétaire d'Instagram, assure qu'il supprime tout défi viral à haut risque de ses sites. Cependant, après analyse, un porte-parole du réseau social a indiqué que ce défi particulier sur les pentes de ski ne viole pas nos politiques.
De son côté, TikTok assure qu'il retire de son réseau toute vidéo montrant des activités nuisibles effectuées par des mineurs, comme l’utilisation inappropriée de substances légales ainsi que les défis qui peuvent menacer le bien-être des personnes âgées de moins de 18 ans. L’entreprise n’a toutefois pas voulu se prononcer au sujet de ce nouveau défi sur les pentes de ski, dont les vidéos demeurent accessibles en ligne.
Selon l'ASSQ, environ 1,4 million de Québécois pratiquent le ski alpin et la planche à neige.